
Le pacte puissant des petites filles modernes de Joël Pommerat
Avec « Les petites filles modernes (titre provisoire) », Joël Pommerat poursuit son exploration de l’enfance et de l’adolescence, mais en en déplaçant nettement le centre de gravité.
Là où ses précédentes incursions s’attachaient à démonter les récits fondateurs ou à en révéler les failles, cette nouvelle création assume pleinement le surgissement du fantastique comme réponse à l’insuffisance du réel.
La pièce s’articule autour de deux jeunes filles liées par une amitié exclusive, presque sacrée. Ce pacte, d’abord intime, devient progressivement une force de résistance face au monde adulte, perçu comme une instance de séparation, de normalisation, voire de dépossession.
Lorsque le réel échoue à contenir leur expérience, le surnaturel s’impose non comme une échappée imaginaire, mais comme une logique alternative, plus juste, plus fidèle à ce qui se joue dans les corps et les affects.
Pommerat ne raconte pas cette histoire de manière linéaire. Les événements se donnent à voir tout en étant racontés, créant un décalage constant entre l’action et sa mise en récit.
Ce dispositif installe une distance réflexive : le spectacle n’est jamais entièrement dans le présent, ni totalement dans la mémoire. Il se construit dans cet entre-deux, où le théâtre devient un espace de pensée autant que de sensation.
Un monde qui glisse
La scénographie, presque entièrement constituée par la lumière et la vidéo, contribue à cette instabilité. Les espaces sont fragmentaires, mouvants, parfois abstraits. Ils ne figurent pas des lieux réalistes mais des états perceptifs.
Le plateau se transforme en paysage mental, traversé par des peurs, des désirs, des projections. Le surnaturel n’est pas montré frontalement ; il affleure, trouble la perception, fissure les certitudes.
L’interprétation se distingue par une grande retenue. Les comédiennes ne cherchent jamais l’effet naturaliste ni l’identification immédiate.
lles incarnent des figures en devenir, traversées par une intensité affective qui excède les cadres habituels de la représentation de l’enfance. L’amitié, loin d’être idéalisée, apparaît comme une force ambivalente, capable de protection autant que de destruction.
En filigrane, Les petites filles modernes interroge notre rapport contemporain à l’enfance. Non plus comme un âge à préserver de toute violence, mais comme un espace déjà profondément traversé par les tensions du monde social.
La modernité du titre ne renvoie pas à une époque ou à des codes, mais à une exposition précoce aux logiques de normes, de contrôle et de séparation.
Sans jamais céder à la démonstration, Pommerat signe une œuvre dense, inquiète, qui fait du fantastique non un genre, mais une nécessité sociale et sensible. Un théâtre qui ne cherche pas à expliquer, mais à maintenir ouvertes les zones de trouble — là où, peut-être, quelque chose peut encore advenir.
Dates : du 18 décembre 2025 au 24 janvier 2026 – Lieu : Théâtre Nanterre des Amandiers
Conception et Mise en scène : Joël Pommerat