Un « Lear » réinventé à l’Opéra Garnier
On se souvient de l’ouverture marquante de la saison lyrique avec Moïse et Aaron de Schoenberg dont la résonance sur fond d’exode, de religion et de pouvoir à travers la vision iconoclaste et contemporaine de Romeo Castellucci, nous renvoyait à des préoccupations très actuelles.
Elle se termine en tant que nouvelle création avec « Lear » de Reimann créé à l’Opéra de Munich en 1978, d’après le drame de Shakespeare, et son avant-gardisme musical où la puissance instrumentale imprime à la tragédie baroque toute sa fureur, sa violence et sa démesure, bouclant ainsi entre ces deux productions un nouveau regard sur l’Opéra, initié par Stéphane Lissner.
Lear est un tyran vieillissant qui décide de partager son empire entre ses trois filles, à condition qu’elles déclarent publiquement l’amour qu’elles lui portent.
Tandis que les aînées rivalisent d’allégeance, la benjamine Cordélia refuse le jeu de la confession publique entrainant les foudres du despote et son bannissement de la famille avant que les aînées décident de s’affranchir de l’autorité du souverain et le chassent du trône.
L’avidité de pouvoir des prétendantes est portée à son paroxysme. Elle renvoie à la folie des hommes prisonniers de leur soif de domination et d’auto-destruction, conduisant à une guerre fratricide qui coûtera finalement au roi son pays, sa famille et la vie.
Désintégration d’un monde donc où l’anéantissement est à l’œuvre ainsi que celle d’un homme déchu, abandonné à sa solitude, sa vieillesse, sa folie, et sa finitude.
[…] Calixto Bieito s’ancre magistralement sur la figure de la chute et son drame mortifère […]
La scénographie conçue par Rebecca Ringst donne à voir les prémices de cet apocalypse. Avec au départ et à l’abri d’un espace confiné, l’exposé d’un drame intime, version abstraite d’un château de bois brulé : famille et cour sont renvoyées dos-à-dos comme dans une cellule qui serait à la fois carcérale et rassurante.
Puis, une fois Lear mis au ban de la société, il se retrouve dans un no man’s land offert à la désolation.
Bo Skovhus, phénoménal dans le rôle du roi désœuvré […]
L’opéra est porté par une empreinte orchestrale, riche en percussions et en cuivres, qui accompagnent la perdition des personnages. Où la mise en scène de Calixto Bieito s’ancre magistralement sur la figure de la chute et son drame mortifère dont les timbres de l’orchestre inaugurent sans relâche la violence abyssale.
Oeuvre d’une extrême densité, elle se tient résolument dans la descendance d’Alban Berg où l’écriture musicale, foisonnante, est le point d’appui d’une tension dramatique ininterrompue
La distribution, au diapason, imprime un rythme et une résonance sans faille à la tragédie crépusculaire de Shakespeare. Elle est emmenée par le baryton danois Bo Skovhus, phénoménal dans le rôle du roi désœuvré au bord de la folie. Se montrant tour à tour puissant et fébrile, autoritaire et imprévisible, sénile et enfantin, il nous entraîne au plus profond de l’âme humaine et de ses errements.
Quant à Fabio Luisi, il dirige d’une main de maître la partition et ses soubresauts ravageurs, entre fluidité et tension.
Dates : du 23 mai au 12 juin2016 l Lieu : Palais Garnier (Paris)
Metteur en scène : prénom nom l Avec : prénoms noms