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« Les Frustrés » montent sur scène et Bretécher se lâche !

« Les Frustrés » montent sur scène, Bretécher se lâche
Cécile Garcia Fogel et Valérie Dashwood photo (DR)

« Les Frustrés » montent sur scène et Bretécher se lâche !

Il y a dans ce spectacle « Poussez-vous les mecs » un parfum de vieille lucidité. Ce genre d’intelligence qui ne cherche pas à plaire, mais à pointer là où ça fait mal. Claire Bretécher en savait quelque chose : sur ses planches, elle a dessiné les angles morts de la modernité, les contradictions molles, les faux combats et les vraies lassitudes.

Et voici que Cécile Garcia Fogel et Valérie Dashwood, formidables, lui redonnent voix — pas seulement un écho, mais un timbre, un grain, un souffle, une folie douce.

Sur scène, plus de bulles ni de stylos. Juste deux femmes, leurs corps, leurs mots, leurs nerfs. Les hommes, eux, sont là sans y être : voix off, présences désincarnées. Ils existent comme un climat, un arrière-fond d’époque, une pression invisible.

C’est un choix fort — presque politique — que de ne jamais les montrer, là où la domination masculine devient ici une acoustique, un bruit de fond dont on ne se défait jamais tout à fait.

Les deux comédiennes imposent leurs tempéraments pour une partition d’une complicité parfaite. Elles jouent comme on débat dans un salon de 1978 : avec esprit, férocité et tendresse mêlés.

Etre femme libérée, c’est pas si facile… 

Elles incarnent tour à tour ces figures bretéchériennes — la féministe fatiguée, la mère dépassée, la compagne ironique, l’amie épuisée par sa propre lucidité — sans jamais tomber dans la caricature.

Leur jeu ose le déséquilibre : l’irritation, la lassitude, le sarcasme, mais aussi la tendresse pour ces femmes qui râlent, s’indignent, se refusent, doutent, parfois désespèrent. On rit de ces conversations de gauche-intello, de ces préjugés qu’on a cru renverser mais qui reviennent comme des étendards.

Les deux personnages se questionnent, s’interrompent, doutent, et éclatent. Leur duo est une valse de contradictions. Valérie Dashwood est d’une énergie tendue, nerveuse, qu’on devine à la fois combattante et sarcastique. Cécile Garcia Fogel, elle, porte le verbe avec une gravité douce, une ironie mélancolique, un brin de folie, une sensibilité presque pudique.

À elles deux, elles rejouent tout un demi-siècle d’idéaux contrariés. Et le miracle, c’est que ça n’a pas vieilli — ça percute et ça vibre encore. Le rythme est serré, l’enchaînement des saynètes donne au spectacle un ton inattendu avec des accents surréalistes : le vertige décalé du confort bourgeois, des certitudes féministes « de gauche », des paradoxes entre ce que l’on dit et ce que l’on fait.

La langue de Bretécher, adaptée à la scène, garde ici tout son tranchant. Ces dialogues, c’est du cristal fêlé : ça brille et ça casse en même temps. On y rit souvent — mais d’un rire lucide et jaune. Car ce que la pièce montre, ce n’est pas tant le combat des années 70 que l’inachèvement du nôtre : le féminisme devenu réflexe, les hommes devenus alliés par confort, le progrès devenu posture.

La mise en scène de Garcia Fogel a choisi la sobriété et un ton décalé. Rien ne distrait du texte, mais tout le rend poreux. Le décor est un territoire mental ; les transitions, des respirations de pensée. On passe d’un entretien radio à une conversation intime, d’une satire domestique à une crise existentielle, sans que rien ne paraisse forcé. Les corps parlent autant que les mots : un silence, un regard, un effondrement du ton suffisent à faire remonter ce que Bretécher, à l’époque, laissait deviner sous des traits d’encre.

Et quand soudain, la chanson de Cookie Dingler retentit : « Elle est femme libérée… mais tu sais, c’est pas si facile… » Dans un éclat presque comique, tout le paradoxe du spectacle se concentre.

Ce tube des années 80, devenu cliché, revient ici comme un miroir déformant : un sourire en coin sur l’utopie de l’émancipation où les nanas n’en n’ont pas encore fini d’apprendre à l’être.

Dates : du 1er au 18 octobre 2025 – Lieu : Théâtre de la Ville (Paris)
Mise en scène : Cécile Garcia Fogel

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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