© Photo Julia Peirone, Cherry Burst artwork de la série Black Berry Bloom, 2008 courtesy stene projects
Opéra Bastille du 5 septembre au 13 octobre 2015
Une production de Bob Wilson est toujours un événement attendu tant son univers hypnotique fait naître un nouveau rapport au plateau, décomposant le temps et l’espace jusqu’à tendre à l’intemporalité.
Quand l’art protéiforme du maître texan rencontre le feu puccinien pour un spectacle total
Et qui mieux que Bob Wilson, irréductible japanophile, pour mettre en scène cette œuvre japonisante où s’esquisse sur fond de réalité fantasmé la figure délicate de l’héroïne séduite puis abandonnée, la plus émouvante que Puccini ait jamais créée.
Imprégnée donc de la culture et des rites japonais, Madame Butterfly raconte l’histoire d’un lieutenant américain (Pinkerton) qui courtise puis épouse par amusement une geisha, nommée Cio-Cio-San (Madame Papillon, en français).
Après une courte idylle, Pinkerton retourne en Amérique, promettant à Butterfly de vite revenir. Celle-ci, malgré l’opprobre dont la société et sa famille l’ont accablée après s’être convertie au christianisme par amour, s’obstine éperdument, dans une attente contemplative et mélancolique, à entretenir la flamme et à espérer revoir son mari.
D’une épure virtuose, la mise en scène immaculée de Bob Wilson s’empare avec un geste visuel absolu de cet amour impossible où les chanteurs/comédiens à la gestuelle inspirée du théâtre nô impriment un jeu millimétré et hiératique
De leur brève liaison est né un enfant. Trois ans ont passé et Butterfly refuse toujours les prétendants qu’on lui présente. Goro l’entremetteur l’avertit mais il ne peut aller jusqu’au bout : elle refuse de l’entendre et affirme qu’elle préférera mourir plutôt que redevenir geisha.
Mais lorsque, quelques années plus tard, Pinkerton revient à Nagasaki, elle revit à nouveau avant de sombrer dans le désespoir. Pinkerton s’est en effet marié et accompagné de sa nouvelle femme américaine, il est revenu pour lui demander de lui rendre son fils.
Dans un ultime renoncement Madame Butterfly s’y soumettra avant de se suicider en se poignardant.
Avec Madame Butterfly, tragédie intimiste qui offrait à Puccini la matière à une composition luxuriante et impressionniste, traversée par une musique colorée et passionnée, le grand Bob y calque sa partition formelle/abstraite (images – lumières – scénographie) et son épure extrême, portant à son paroxysme la dimension intérieure, sensorielle, dramatique et mélodique de l’œuvre.
D’une épure virtuose, la mise en scène immaculée de Bob Wilson s’empare avec un geste visuel absolu de cet amour impossible où les chanteurs/comédiens à la gestuelle inspirée du théâtre nô impriment un jeu millimétré et hiératique. Tandis que des faisceaux de lumière cerclent les visages et morcellent les corps aux prises avec la passion dévorante, sa trahison puis son offrande sacrificielle.
A l’abri en fond de scène d’un à-plat lumineux propre au vocabulaire wilsonien, se projettent successivement différents tons d’abord bleutés puis progressivement refroidis et métallisés au gré des changements de situation et d’affect des personnages. Le tout dans une chorégraphie scénique aux lignes graphiques qui ouvre ou délimite la perspective et scrute de ces images glacées la dramaturgie.
L’orchestre, emmené d’une main experte par Daniele Rustioni, se charge des voix irradiantes à la transparence vibrante sacralisant l’emprise du drame intemporel emprunte des illusions perdues.
Quand l’art protéiforme du maître texan rencontre le feu puccinien pour un spectacle total…