Un monologue habité avec Premier amour de Samuel Beckett au Théâtre de Nesle
Dans sa nouvelle rédigée en 1946, Samuel Beckett imagine un vagabond solitaire plus porté sur les morts que sur les vivants car, voyez vous, ils sentent meilleur! Expulsé de la maison paternelle au décès d’un père absent, il squatte un banc bientôt squatté également par une dame qui cherche à se lier à lui. Homme de peu, il ne supporte pas l’intrusion de cette étrangère dans son espace privé en devant céder une partie de son banc. Mais l’attachement se crée et bientôt nait cet affreux amour qui va tant l’empoisonner. La brutalité tranquille du texte de Beckett est parfaitement restituée sur scène avec ce numéro désespérant d’un atrabilaire à qui est offerte une dernière chance de frayer avec ses semblables. Un pessimisme amer empreint un texte à qui la prestation de Pascal Humbert rend parfaitement justice dans une mise en scène habilement minimaliste.
Une pièce sur l’affreuse expérience terrestre
Samuel Beckett s’escrime dans ce texte déroutant qui ne laisse aucun repos au spectateur. Avec un titre emprunté à Tourgueniev, il place son personnage dans des tourments perpétuels qui déroule le fil de son existence à un interlocuteur imaginaire, lui si solitaire et bilieux. Certains se rappelleront de l’utilisation du même procédé chez Camus dans La Chute où Jean-Baptiste Clamence confesse les affres de son existence dans un rade d’Amsterdam nommé Mexico City. De fait de bar, le lieu principal de la narration se situe sur un simple banc ouvert aux 4 vents, décrit comme particulièrement pénible en hiver quand les températures se mettent à baisser. Mais à la grande surprise du spectateur, le narrateur sans nom se lie à une femme qui requiert une place sur ce banc, plongeant le héros dans les pires tourments intérieurs, obligé qu’il est de se serrer un peu plus sur un espace réduit. Mais quand Lulu, il préfère l’appeler Anne, lui propose de la suivre chez elle, le spectateur s’attend à un refus catégorique et impoli. Mais non, il la suit jusqu’à découvrir sa profession. Si l’oeuvre est déroutante par son fiel pessimiste déstabilisant ininterrompu, elle fascine tout de même par sa poésie grotesque. Même malmené par des propos outrageusement moroses, les spectateur s’attache à ce personnage absurde. La mise en scène de Mo Varenne place le curseur sur un antihéros au discours certes châtié mais toujours bougon dont la mort apparait comme une délivrance pour rejoindre cette engeance qui lui plait tant. Le spectateur ne saura jamais son nom, inconnu jusqu’au bout.
Le spectacle ouvre une lucarne sur une histoire de solitude mal vécue et de destin contrarié, métaphore de l’être humain constamment balloté entre l’exigence de frayer avec ses semblables et de s’accepter lui-même. Premier Amour est à découvrir tous les vendredis jusqu’au 23 février à 19h au Théâtre de Nesle!
Dates : jusqu’au 23 dévier à 19h
Lieu : Théâtre de Nesle (Paris)
Metteur en scène : Mo Varenne
Avec : Pascal Humbert