Un Nocturama paradoxal et lumineux
La date de sortie de Nocturama est tellement proche des évènements tragiques récents qu’il sera difficile d’échapper à la polémique, voire au piloris. Mais pourtant, loin d’exploiter gratuitement et complaisamment la menace islamiste actuelle et ses inévitables répercussions sociales, le film invoque plutôt l’anarchisme du XIXe siècle et des douloureuses années 70. Cette réaction brutale d’une jeunesse acculée à la violence pour se faire entendre et faire bouger les choses.
Un magnifique brulot contestataire
Les douleurs du 13 novembre et du 14 juillet sont encore tellement à vif qu’il est délicat de les ignorer. Mais faisons cet effort et considérons ce film pour ce qu’il est, un magnifique brulot contestataire qui pose la question de la portée et des limites de telles actions impétueuses. Parfois maladroitement mais souvent intelligemment, avec talent et subtilité.
Bertrand Bonello eut l’idée de Nocturama en amont des évènements qui endeuillèrent la France récemment et pèsent encore sur les esprits. Il n’imaginait certainement pas l’impact d’images d’explosions en plein Paris à une époque où un tel scénario pouvait simplement interpeller plutôt que choquer. Il met en scène 10 jeunes individus déterminés à faire du bruit pour faire bouger les choses. Le film débute sur l’acheminement minutieux et millimétré du groupe éparpillé vers des lieux stratégiques.
Le plan d’action
Anonymat complet, absence quasi totale de contacts hormis cet inévitable contact entre le jeune homme et sa dulcinée à la faveur d’un transport en métro enténébré. Le plan d’action semble avoir été préparé de longue date, interrogeant sur l’origine de leurs liens. Le réalisateur distille quelques indices en évoquant cursivement quelques indices. Entre étudiants à sciences po et banlieusards, le mélange est détonnant mais harmonieux.
La volonté commune dépasse les intérêts particuliers, soudant le groupe par delà les différences sociales. Et justement, la grande faucheuse apparait bientôt. Plusieurs membres se retrouvent piégés sur les lieux des déflagrations. 2 explosions visent des symboles du capitalisme, une prend pour cible la statue de Jeanne d’Arc à proximité du Louvre et un meurtre crapuleux finit de tacher cette vaine tentative d’insurrection.
Frapper fort
Mêmes elliptiques, les flashbacks de l’origine de cette action éclairent sur les caractères. C’est un grand groupe bancaire qui licencie impunément 50 000 collaborateurs, c’est cette année de chômage impossible à résorber, c’est l’enseignement de la pensée révolutionnaire intimement liée aux milieux de gauche. L’esprit des 3 glorieuses de 1830 est évoqué, plaçant ces explosions dans une longue lignée historique. Ce sont ces tentatives d’assassinats contre les empereurs ou les présidents, toutes ces actions coup de poing qui ont laissé une marque dans l’histoire. Sans affiliation idéologique clairement marquée, la généalogie se veut pourtant limpide. A une époque où l’action révolutionnaire est depuis longtemps réduite à néant, le groupe des 10 veut secouer le cocotier. Et frapper fort.
Le but avoué n’est pas de frapper des innocents au hasard ou de châtier la population. Si le sang coule, le meurtre doit être justifié. Et la question se pose, comment justifier le meurtre ? Des décennies de révolutionnaires ont montré que l’intérêt collectif semble être une justification suffisante, à laisser à la libre appréciation de chacun. Le plan de repli est aussi savamment organisé que celui des actions. Et comble de l’ironie, c’est un grand magasin symbole de la société de consommation qui accueille les 8 fugitifs survivants.
Le recours aux symboles
Bertrand Bonello n’hésite jamais à densifier le propos par un recours récurrent et assez puissant aux symboles. Il fait se poser les bonnes questions pour méditer sur le film. Ce sont ce chat et ce lézard aperçus au détour de scènes, évocations d’une nature imperturbable et éloignée des préoccupations humaines. Ce sont ces musiques rap et techno si actuelles qui en disent plus long que de longs discours sur la psyché des héros. Les rythmes répétitifs et saccadés parlent avant tout au corps plus qu’à l’esprit, répondant au besoin d’exultation plus qu’à la conscience. Les morceaux les moins abrutissants sont ceux qui apportent le plus d’émotion et de sens.
C’est l’urgence du Call Me de Blondie pour préfigurer l’inévitable assaut final. C’est ce My Way chanté en playback par un héros grimé en drag queen pour évoquer à demi-mot sa probable homosexualité. C’est cette chanson de générique de la série Amicalement votre qui accompagne le dénouement tragique de révolutionnaires trop jeunes pour comprendre la portée exacte de leurs actes. Qualifiés d’ennemis de l’état, ils finissent sacrifiés sur l’autel de la raison d’état. Car pour consommer tranquillement, il ne faut pas de perturbateurs, leur présence n’est pas indispensable, l’idéologie consumériste n’a aucun scrupule à les faire sacrifier.
Anonymat universel
L’anonymat de ses jeunes individus revêt une universalité troublante. Ce sont chacun d’entre nous, tous ceux qui ne supportent plus la supposée impasse idéologique actuelle. Ce sont les derniers mots du film qui soulignent le réel adage du film. Ce « aidez moi » hurlé à pleins poumons par le dernier survivant pour éviter le peloton d’exécution représenté par des agents du GIGN décidés à l’abattre. Plus paradoxal encore, les jeunes gens s’éclatent au coeur du grand magasin.
Certains de ne pouvoir être identifiés ni découverts, ils consomment allègrement sans travail ni argent, profitant gratuitement des rayons habillement, nourriture ou bijouterie. Deux protagonistes aperçoivent d’ailleurs deux mannequins vêtus exactement comme eux. Preuve qu’eux mêmes font partie de cette société qu’ils rejettent si fort. C’est ce t-shirt de sport à la virgule horizontale ou cette chemise de costume que le tout à chacun peut acquérir contre paiement par CB. Le paradoxe est total. 10 jeunes gens combattent un système auquel ils appartiennent et qui leur feront payer leur audace. Sans sommation et impitoyablement.
Nocturama ou obscurantisme
Le titre Nocturama semble renvoyer à un obscurantisme à courte vue. Outre qu’il emprunte à un album de Nick Cave, il suit 10 personnages aux caractères différents. 2 d’entre eux semblent être les meneurs. Interprétés par Vincent Rottiers et Robin Goldbronn, leur détermination trace le sillon où s’écoule le besoin de vengeance de leurs camarades. Car le doute subsiste sur leur réelle compréhension de leurs actes. A force de regarder des clips violents et de jouer aux jeux vidéos, font-ils réellement la part des choses ? Les 2 supposés leaders sont absents du grand magasin et André le futur énarque prend le lead mais les personnages sont désorganisés. Leur appétence latente pour les symboles capitalistes les rattrape.
Les téléviseurs du magasin les informe de l’évolution de la situation. Avec une timide contamination auprès de leurs semblables. C’est un début d’incendie près du Louvre, c’est une voiture qui brule, les germes de l’insurrection n’ont pas encore fait tache d’huile. Bertrand Bonello fait apparaître Adèle Haenel pour un message clair. Ca devait arriver, comme un écho à la réalité. Les autres acteurs participent à cette impression de révolte immature. Finnegan Oldfield, Hamza Meziani ou Manal Issa prêtent leurs traits juvéniles à ces ennemis de l’intérieur mal dégrossis.
Le film devait initialement s’intituler Paris est une fête, titre abandonné bien vite par le réalisateur. Paris reste cependant un personnage central du film dont le début ressemblerait presqu’à une balade touristique. On reconnait les stations et les lignes de métro. La Fourche sur la 13, Rue du bac sur la 12, Concorde également sur la 12 et sur la 1, Champs Elysées Clémenceau sur la 1 et la 13.
Le réalisateur évoque également un arrière plan social avec ce SDF joué par Louis Rego invité à venir profiter du Grand Magasin avec sa compagne. Il s’appelle Jean-Claude, vit dans la rue et symbolise cette population en plein déclassement social. Le réalisateur invoque aussi des forces spirituelles inconnues. Ce sont ses rêves et apparitions expliquant l’absence des 2 compères disparus. Et surtout cette référence au paradis des djihadistes lorsque l’un d’eux explique ne pas craindre la mort car le paradis l’attend. Enfin, le film n’évite pas les références cinématographiques comme celle au film Le Jouet lorsqu’un d’eux fonce dans les couloirs du magasin dans son kart.
Un film formellement éblouissant et abouti
Tant à dire sur ce film formellement éblouissant et si abouti qu’un seul visionnage peine à le révéler totalement. Les symboles pullulent, les cellules grises seront mises à rude épreuve. Le propos se veut avant tout social, le réalisateur évoque cette cocotte minute prête à exploser pour décrire la France de 2016. Cette jeunesse porteuse d’espoir serait laminée par un pouvoir assimilé à une dictature.
Médias, forces publiques, surveillance continue, tout concourrait au sentiment d’inéluctabilité. La preuve, les héros sont rattrapés, eux qui se croyaient à l’abri, masqués, inconnus. Mais même invisibles au coeur de la population, les jeunes gens sont retrouvés. On ne voit plus qu’eux. Le frère et sa soeur, le petit ami de celle ci, les 3 personnages qui se rencontrent à Pole Emploi, leurs amis. Une question demeure : est-ce que le fait de rechercher un emploi depuis 1 an ou qu’une banque puisse licencier 50 000 personnes peuvent justifier l’action violente et le meurtre ? A défaut de réponse claire, il reste cette empathie pour des personnages perdus, victimes sacrificielles d’un système à qui rien ne doit s’opposer. Pas de considérations religieuses dans le film, juste une manifestation de l’insupportable scandale d’un capitalisme en bout de course.
Nocturama pose des questions, échafaude des pistes de réflexion. Le voir au premier degré n’a pas de sens, il demande du recul et de l’analyse. Signe des films éternels qui dérangent, interpellent et servent de laboratoire des possibles.
Paris, un matin. Une poignée de jeunes, de milieux différents. Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale. Ils semblent suivre un plan. Leurs gestes sont précis, presque dangereux. Ils convergent vers un même point, un Grand Magasin, au moment où il ferme ses portes. La nuit commence.
Sortie : le 31 aout 2016
Durée : 2h10
Réalisateur : Bertrand Bonello
Avec : Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani
Genre : Drame, Thriller