Razzia, une plongée éblouissante dans la diversité de la société marocaine
Le CV de Nabil Ayouch fait apparaitre deux films majeurs des 6 dernières années, le très polémique Much Loved et surtout l’étourdissant Les Chevaux de Dieu. Pour qui a eu la chance de les voir au cinéma, se déplacer pour visionner Razzia a tout de l’évidence. Et le résultat est là, Razzia sait mettre en place les éléments d’une tragédie contemporaine complexe avec un dénouement final qui cloue littéralement au siège. 5 personnages aux rêves infinis de liberté se débattent avec les limites d’une société marocaine fermée et finalement trop limitée. Les qualités du film sont nombreuses mais c’est surtout l’émotion qui ressort le plus fort après la séance. Razzia fait son entrée dans le club des films à voir absolument au cinéma en ce début 2018.
Un digne représentant de la vitalité du cinéma arabo-musulman
Entre un cinéma français légèrement décevant, un cinéma américain indépendant souvent surprenant, le cinéma asiatique et le cinéma sud-américain, le cinéma arabo-musulman tire son épingle du jeu avec un vrai cinéma du réel. Entre les films libanais, iraniens, soudanais, algériens, tunisiens et ici marocains, ce cinéma ouvre la plupart du temps des lucarnes surprenantes dans le réel le plus cru. Razzia ne déroge pas à la règle avec 5 personnages plus émouvants les uns que les autres. Un professeur passionné de pédagogie mais brimé par les directives du pouvoir, une adolescente qui se cherche, une femme malheureuse en ménage, un apprenti chanteur fan de Freddie Mercury et un restaurateur juif naviguent dans la nébuleuse Casablanca sans réussir à trouver leur place et le bonheur. Entre les frustrations familiales et l’impossibilité sociale de se réaliser, les personnages enchainent les désillusions dans un tourbillon de plus en plus tumultueux pour aboutir à un dénouement final en tous points tragiques. En situant ses fictions dans les évènements réels de 2015 où la jeunesse de Casablanca a crié sa colère dans les rues de la ville, Nabil Ayouch se la joue Alejandro González Iñárritu avec des destins croisés et dramatiques. Certains spectateurs se souviendront de 21 grammes ou Amores Perros avec cet art du réalisateur mexicain à faire monter la sauce petit à petit jusqu’à une conclusion forcément sombre, avec tout de même des notes d’espoir pour laisser ouverte une fenêtre sur un avenir tout de même optimiste.
Des acteurs au diapason du réalisateur
Chacun des acteurs apporte une nuance pleine de subtilité à la vision d’ensemble du réalisateur. Maryam Touzani, Arieh Worthalter et Abdelilah Rachid apportent intensité et profondeur à un scénario qui ne laisse pas les spectateurs respirer un seul instant. Vu la tonalité du film, chaque spectateur imagine le pire à chaque instant. Nabil Ayouch ne ménage pas ses spectateurs, brossant un portrait amer du Maroc contemporain, entre la complicité du gouvernement dans l’avènement des mouvements extrémistes, le cadenassage économique du pays par le pouvoir et le peu de perspectives offertes à une population jeune et confrontée à des préjugés récurrents. Car comme chacun le sait, pour éviter de se faire renverser, un gouvernement n’a rien de mieux à faire que d’inventer de nouvelles cibles pour continuer à fonctionner en toute tranquillité et se faire oublier. Nabil Ayouch frappe fort et ne ménage personne, ni les faux modernes hypocrites, ni les profiteurs, ni une jeunesse par trop délurée ni une bourgeoisie confrontée à ses démons. La part d’hombre de chaque personnage ressort tandis que le film se dirige vers sa fin pour un feu d’artifices dramatique et un sentiment que ce Razzia est décidément un diamant brut.
Razzia est un film à découvrir actuellement au cinéma pour admirer la complexité de sa construction, l’ambition formelle de son réalisateur et cette impression que tout reste à faire pour permettre le vivre ensemble, partout dans le monde, ici comme ailleurs.
A Casablanca, entre le passé et le présent, cinq destinées sont reliées sans le savoir. Différents visages, différentes trajectoires, différentes luttes mais une même quête de liberté. Et le bruit d’une révolte qui monte….
Sortie : le 14 mars 2018
Durée : 1h59
Réalisateur : Nabil Ayouch
Avec : Maryam Touzani, Arieh Worthalter, Abdelilah Rachid
Genre : Drame