Retour “De la maison des morts” sous le geste sûr et manifeste de Patrice Chéreau
Avec cette production qui fit date De la maison des morts, l’Opéra de Paris réunit la plupart des artistes présents à la création en 2007 en hommage à son metteur en scène, Patrice Chéreau, décédé en 2013. Janáček s’est inspiré du récit de Dostoïevski, écrit après quatre années passées au bagne, pour composer son dernier opéra, particulièrement poignant.
Spécialiste de ce répertoire, le chef Esa-Pekka Salonen qui succède aujourd’hui à Pierre Boulez, dirige l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra national de Paris pour une traversée aussi fiévreuse que rare.
Cet opéra offrait à Patrice Chéreau l’occasion de travailler sur l’univers carcéral, cristallisant la détresse humaine dans sa vérité la plus incarnée. Société parallèle par excellence donc emprunte de promiscuité, de violence et d’injustices mais aussi d’humanité. En évitant soigneusement les particularismes que pourraient induire les costumes ou les décors, sa mise en scène fait référence à tous les camps qui hantent le XX e siècle, du Goulag à Guantanamo.
Quant au compositeur, il s’intéresse avant tout à la vérité et à l’ambivalence de l’âme humaine et à cette recherche de « l’étincelle divine » qui anime tout homme.
Un grand brasier théâtral
Janáček transforme ainsi la trivialité du quotidien et les destins ordinaires de prisonniers par un désir irrépressible de vie où la liberté continue à être le rêve éternellement poursuivi, même dans la maison des morts.
L’œuvre sur une partition brûlante et torturée, navigue entre un embrasement permanent des bagnards et une dimension individuelle initiée à travers le parcours remémoré des détenus.
Drame collectif où la contagion de la sauvagerie et la brutalité s’exacerbent mais d’où surgissent parfois des moments d’humanité, capables notamment de dévoiler des hommes attendris devant un oiseau blessé qu’ils recueilleront jusqu’à sa guérison. Révélation aussi de moments forts et récréatifs partagés entre les prisonniers et comme autant d’éclairs d’espoir de jours meilleurs où par le biais d’une pantomime collective, ils échappent temporairement à la dureté de leur condition.
Le décor unique de Richard Peduzzi, fidèle compagnon de Chéreau, cloisonne l’action dans un espace oppressant et monumental constitué de murs de bétons qui emprisonnent la scène et les personnages. Tandis que les éclairages de Bertrand Couderc déversent une lumière blafarde qui renforce l’impression carcérale et de désolation de chaque scène.
A l’abri d’une esthétique précise et sensorielle si propre à Patrice Chéreau, ainsi qu’une direction d’acteurs, centrée sur le corps de l’interprète/chanteur, chaque geste s’inscrit dans une parfaite cohésion avec le texte et donc avec la musique, faisant de l’opéra granitique de Janáček un grand brasier théâtral.
Dans la fosse, Esa-Pekka Salonen est à son meilleur pour exprimer la structure kaléidoscopique et radicale de la partition. Délestée de tout artifice, elle vibre des motifs musicaux authentiques chers à Janáček et développés jusqu’à leur épuisement.
Dates : du 18 novembre au jour 2 décembre 2017 l Lieu : Opéra Bastille (Paris)
Metteur en scène : Patrice Chéreau