Roméo et Juliette sous le regard endiablé d’Eric Ruf, diffusé sur le site de la Comédie-Française le 09 janvier
Pour sa première mise en scène en tant qu’administrateur de la Comédie-Française, Eric Ruf s’attaquait à la légende de Roméo et Juliette dont il retenait la fureur de vivre : « un éclair avant la mort », où à quitte ou double se joue la liberté d’aimer envers et contre tous. Une réussite.
Eric Ruf met ainsi l’accent sur la figure de l’héroïne dont le premier amour transgressif en fait une rebelle, prête à tout pour en découdre. Elle y incarne cette soif de vivre immergée dans un environnement rude marqué par l’autoritarisme d’un père qui empêche toute possibilité d’émancipation.
Et pour traduire l’urgence et l’absolutisme de ces vies consumées qui passent de la passion à la mort en quelques jours, le metteur en scène choisit le sud de l’Italie des année 30, sa lumière accablante, avec son ambiance mafioso et de vendetta où les hommes ont le sang chaud et ne transigent pas.
Le spectacle enregistré à la Comédie-Française, le 13 octobre 2016, est diffusé sur le site de la Comédie-Française , le 09 janvier 2021 à 20h30.
[…] Suliane Brahim, littéralement possédée par le rôle, est une juliette immense […]
Le pièce s’ouvre sur la scène de bal très réussie emportée par la fête, instant suspendu à l’énergie explosive et flamboyante d’une jeunesse invincible et sans limite. Quant à la déclaration du balcon où les amants se jurent à la vie à la mort leur amour, elle imprime entre le verbe et la chair, cette brûlure fiévreuse où Juliette, retranchée du sommet d’une corniche, en déséquilibre, un pied dans le vide à plusieurs mètres de hauteur, assène sa pleine et entière volonté, habitée de tout son être par un désir irrépressible.
Une urgence de vivre qui consume les êtres dont les situations et les tirades mémorables cristallisent cette passion à la vie, à la mort. Où l’effervescence et la tension sont portées à leur paroxysme, le tout incarné par des acteurs du Français à leur meilleur.
Une danse de mort inaugurale donc, tel un fil rouge, qui imprègne en filigrane toute l’intrigue entre tragédie et comédie. Où la course folle de deux amants jusqu’auboutistes qui voit les tensions entre les camps opposés à leur union se tendre, s’exacerber face à leur refus implacable de tout compromis.
[…] Une relecture vivante […]
Image finale saisissante que celle du mausolée où des spectres sont recouverts de robes sculpturales signées Christian Lacroix dont les tons subtiles et les matières de tous les costumes se fondent au climat ambiant propre à chaque situation.
© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française
Suliane Brahim, littéralement possédée par le rôle, est une juliette immense : ardente et résolue, sa voix grave transporte l’écho sourd de la guerre intérieure à laquelle elle se livre. Tandis que Jérémy Lopez incarne un Roméo fougueux et impulsif, l’anti-héros par excellence.
Les autres personnages ne sont pas en reste : Danièle Lebrun est parfaite en épouse dévouée et soumise à son mari Capulet (Didier Sandre) dont la rosserie dans une scène d’altercation avec sa fille atteint son paroxysme. Pierre Louis-Calixte campe un Mercutio aussi ravageur que farceur impénitent et que Serge Bagadassarian est un Frère Laurent cocasse, rapidement dépassé par la tournure des évènements.
Enfin, Claude Mathieu est une nourrice attachante qui témoigne d’une sensibilité débordante, et toujours à l’écoute attentive de Juliette.
Une relecture vivante et d’une grande cohérence qui restitue toute la richesse de la langue shakespearienne. Bravo.
Date : 09 janvier 2021 sur le site de la Comédie-Française à 20h30
Metteur en scène : Eric Ruf