Un Servant méphistophélique au Studio des Champs Elysées
The Servant est repris sur les planches du Studio des Champs Elysées et ne perd rien de l’ambiance délicieusement perverse du film de Joseph Losey. Le jeu de pouvoirs entre le serviteur perfide et son maitre velléitaire se déroule dans un festival de mines faussement contrites et de faciès vraiment impénétrables. Les personnages prennent vie sous les traits convaincants d’acteurs au diapason de l’esprit vicieux du roman de Robin Maugham.
Le film The Servant tourné en 1962 a marqué l’histoire du cinéma britannique en détournant les règles immuables de l’establishment british. L’aristocratie archaïque est tournée en ridicule dans le roman de Robin Maugham scénarisé par le prix Nobel Harold Pinter. Joseph Losey y trouve une matière première polémique pour remettre en cause l’ordre établi et appliquer la dialectique Maitrise/Servitude chère à Hegel. Le maitre se rend dépendant de l’esclave en lui laissant faire tout le travail, ce dernier devient le maitre du maitre et finit par l’asservir. Le postulat philosophique est appliqué avec gravité pour décrire un monde qui s’éteint dans la débauche et la décadence. Dirk Bogarde faisait un serviteur méphistophélique que Maxime d’Aboville interprète avec un sens inné de la nuance.
Maxime d’Aboville fait preuve d’une retenue jubilatoire pour exprimer une mortification que toute l’audience sait forcée tandis que le faible Lord Tony interprété par Xavier Lafitte se laisse prendre au piège de l’empathie. Les amis du Lord interprétés par Adrien Melin et Roxane Bret en alternance avec Juliette Petiot sont bien à mal de prévenir le malheureux du danger représenté par son homme à tout faire. Le public voit clair dans le jeu du majordome ouvertement servile mais expert en cachoterie. Les acteurs exhument avec bonheur la critique sociale du film de 1962 dans un déluge de scènes drolatiques. Le canapé central sert de pivot à une mise en scène sommaire mais dynamique, les personnages rentrant et sortant incessamment de l’appartement du Lord. L’inévitable bouteille de whisky sert de fétiche et il faut voir la toile patiemment tissée par le serviteur Barrett et son acolyte Vera jouée par Alexie Ribes. L’appartement de Tony se transforme en prison dorée pour un lord réduit en esclavage par le petit personnel machiavélique.
The Servant se contemple avec une jubilation communicative. Le Lord trop naïf et son serviteur sans scrupules jouent une partie aux dés pipés, l’anormalité du second abusant de la bienveillance du premier. La pièce devient une fable politique sur la lutte des classes et l’éternelle quête de pouvoir de l’être humain.
Dates : A partir du 3 juin 2016
Lieu : Studio des Champs Elysées
Metteur en scène : Thierry Harcourt
Avec : Maxime d’Aboville, Roxane Bret ou Juliette Petiot, Xavier Lafitte, Adrien Melin, Alexie Ribes