Sieranevada, film de Cristi Puiu : « Buffet froid et ciorbă »
Et il était au Festival de Cannes ! Trois fois nommé, et rien dans le sac en partant. Le film roumain avait tout pour repartir avec une palme, et pourtant. C’est parce qu’il n’a rien d’Académique qu’il aurait mérité une récompense. Le cas Sieranevada témoigne bien d’une vieille toux que le festival traine : une vieille toux qui doit certainement biaiser les choix des grands ducs critiques trônant sur les fauteuils à Cannes.
À Bucarest, en janvier 2015. Lary, docteur en médecine, a perdu son père il y a 40 jours. Dans la religion orthodoxe, il se fait de rendre hommage au défunt en organisant des repas avec toute la famille. On est samedi. On attend les bénédictions du prêtre qui se fait trop attendre. On attend aussi les derniers arrivants. On attend. Et on parle.
Une tranche d’humain
Les dialogues sont cinglants, parfois chaleureux mais souvent froids. Mais surtout, et c’est le plus important, on laisse parler les personnages, sans intervention. Le quasi huit-clos de trois heures (quand même) pourrait rebuter. Le plus difficile, peut-être, est ce long plan presque fixe du début où l’on ne voit que peu, et où l’on ne comprend rien.
Une fois passé, on rentre dans le film, on arrive dans l’appartement, petit pour autant de personnes (une bonne dizaine de personnages), et on ne le quitte plus. La tentative de disparition du cinéaste est puissante. Très peu de prise de partie de la caméra, très peu d’interventions : les personnages évoluent comme ils le feraient dans la vraie vie. En fait, ce film semble être un morceau de vraie vie d’une famille banale roumaine. Les générations s’entrechoquent pendant des débats sur l’histoire, l’actualité et la politique.
Immersion totale
En plus de ces discussions intergénérationnelles, nous sommes comme voyeurs d’affaires de couples et de famille, où les esprits s’échauffent puisque les personnalités de chacun diffèrent. Il y a énormément de vrai dans le film. Les problèmes familiaux semblent universels. Les sensibleries, les mots doux, difficiles, les affaires internes, bonnes ou mauvaises, sont vraisemblables : Sieranevada est une tranche d’humain dans le paysage cinématographique actuel. Pas de graffitis grossiers, pas de surfacture, pas de factices. La vie des petites gens roumaines est écumée avec finesse et est poétiquement montrée, toujours avec retenue et mutisme.
Nous sommes comme le mort finalement : présent, d’une certaine manière, mais incapable de parler. En immersion totale : on a faim (3 heures de films, et toujours pas à table !), on est saoulé dans le bon sens, parce que rien n’avance, mais on rit, surement par fatigue à cause de l’absurdité des situations que cette brochette de gens vraies provoque. Et rien à Cannes ? La naiba !
Sortie : le 3 août 2016
Durée : 2h53
Réalisateur : Cristi Puiu
Avec : Mimi Branescu, Judith State, Bogdan Dumitrache
Genre : Drame