The Florida Project, le revers de l’Amérique
Le monde des outsiders fascine le cinéma. Les laissés pour compte du rêve américain hantent des films aussi malins qu’émouvants par la grâce de scénarios habiles et de personnages puissants. Si le titre de The Florida Project laisse penser à une expérience avec des souris de laboratoire, son pitch plonge dans la réalité la plus crue de ceux qui ne parviennent pas à se construire une vie. Faute de moyens, de motivation ou juste de chance. Le réalisateur Sean Baker déjà à l’oeuvre dans le poignant Tangerine passe de la Côte Ouest à la Cöte Est avec toujours le même bonheur.
L’envers du décor
Le réalisateur prend pour cadre un motel situé sur l’autoroute menant au paradis des touristes, le royaume de Mickey, Disneyworld. Mais si beaucoup n’y font qu’une pause en attendant de s’émerveiller dans un royaume fantasmé où le dollar est le principal carburant, d’autres sont obligés d’y vivre, s’entassant à plusieurs dans des minuscules chambres aussi étroites que spartiates. C’est le cas de la petite Moonee et de sa mère Halley, en situation de totale précarité mais pas sans idées. Si l’impertinence de la petite fille de 6 ans reflète surtout le peu d’intérêt de sa mère pour les principes de bonne éducation, le pendant positif montre un sens aigu de la roublardise et du mensonge qui sort des plus mauvaises situations. Et chacune sourit, franchement et sincèrement, preuve que le confort matérialiste apporte moins que l’amour d’une mère pour sa fille. Sean Baker suit les pérégrinations d’un noyau familial white trash au pays des marginaux. Car le motel est rempli des familles semblables, ne parvenant pas à joindre les deux bouts pour payer un loyer ou acheter une maison. L’ambiance est à la survie quotidienne, chaque bon plan permettant de payer une semaine supplémentaire de location sans plus de visée lointaine. Sans misérabilisme mais avec beaucoup d’empathie, le film suit ce peuple de l’ombre. celui des gens qui ne votent pas, n’intéressent pas les gouvernants et subissent de plein fouet le décrochage social. Et qui sont probablement les premiers à croire les promesses confuses et irréalistes des plus extrémistes.
Une héroïne épatante
La jeune Brooklynn Prince illumine le film de sa présence rayonnante. Elevée par une jeune fille mère inconséquente, elle suit le chemin de la maison de redressement en accumulant les mensonges et les filouteries. Si mignonne mais si perdue penseront beaucoup. En marge du système scolaire, elle n’a pas ce cadre qui la ferait évoluer sereinement. Elle zone du matin au soir, sans contraintes ni garde fou. La seule personne dotée de jugeote est interprétée par Willem Dafoe, Bobby le gardien, sévère mais juste, pour le bien de tous. Il représente ce que la société devrait toujours faire pour ses ouailles, les guider sans les brusquer, les orienter sans les contraindre. Si Disney hante le film de sa présence menaçante, miroir aux alouettes représentant un royaume enchanté factice et même pernicieux, l’action se concentre surtout sur ce motel crade mais finalement rassurant où la vie peut continuer, envers et contre tout. Les manigances de Halley mèneront les duo dans une impasse existentielle aussi triste qu’injuste mais tel est le cours de la vie. Les outsiders incapables de rentrer dans le droit chemin sont finalement contraints par une société qui les avait abandonnés mais n’acceptent pas certaines choses…
The Florida Project éblouit par son choix assumé d’une réalité sans fard. Le sentiment de douce sérénité alterne avec l’impression inconfortable d’une irrémédiable chute sans que l’on sache jamais vraiment lequel des deux est le plus rationnel. La vie de débrouille parait si réaliste qu’elle pourrait durer éternellement. Mais la vie n’est pas si simple, comme l’indique fort justement le dénouement final…
Moonee a 6 ans et un sacré caractère.
Lâchée en toute liberté dans un motel de la banlieue de Disney world, elle y fait les 400 coups avec sa petite bande de gamins insolents.
Ses incartades ne semblent pas trop inquiéter Halley, sa très jeune mère.
En situation précaire comme tous les habitants du motel, celle-ci est en effet trop concentrée sur des plans plus ou moins honnêtes pour assurer leur quotidien…
Sortie : le 20 décembre 2017
Durée : 1h51
Réalisateur : Sean Baker
Avec : Brooklynn Prince, Bria Vinaite, Willem Dafoe
Genre : Drame