The Normal Heart ou le combat choc de Larry Kramer de retour sur scène : captivant
« The Normal Heart », dont l’action se déroule entre 1981 et 1984, est la pièce éponyme sur le sida et la lutte contre l’épidémie. Fondateur d’ACT UP aux États-Unis, grand auteur et scénariste prolifique, Larry Kramer (décédé en 2020) a écrit cette pièce vibrante en pensant à tous ses amis qu’il a perdus, qu’il n’a pas pu sauver et qui ont partagé sa croisade.
L’adaptation de la pièce par Virginie de Clausade est une première en France. Son récit, haletant du début jusqu’à la fin, est un manifeste, une épopée, un cri de révolte. Larry Kramer y raconte son combat contre l’hypocrisie d’une nation quand le pouvoir politique refusait de voir les ravages du SIDA. Une transposition théâtrale aussi réussie que passionnante.
Il fut un dramaturge, auteur engagé, activiste militant, aux méthodes déterminées parfois jugées extrêmes, pour essayer d’attirer l’attention sur l’urgence du combat à mener, de la prise en charge et de la prévention des malades du sida.
Le combat de la colère
Face au déni et à l’indifférence, Ned Weeks joué par Dimitri Storoge (inspiré de la personnalité de Larry Kramer) prend la tête d’un comité d’alerte et tente, avec le soutien du docteur Emma Brookner (Déborah Grall), de convaincre de la gravité de la situation la population et des autorités sourdes et méprisantes.
Ce comité a pour vocation de s’occuper des malades, d’informer les médecins. Petit à petit, divers courants s’affrontent quant à la façon d’éveiller les consciences. Larry Kramer fait partie de ceux qui croient à la vertu de la dénonciation et du bruit.
Son indignation, sa colère et son mauvais caractère sont alors au service d’un activisme sans concession, qui dénonce l’inaction des autorités et provoque des controverses médiatiques.
On suit donc la bataille éprouvante et pleine de contradictions, de quelques militants pour faire prendre conscience de la tragédie du sida (pas encore nommé), même si tout le monde ferme les yeux sur une maladie qui dans un premier temps s’avéra très discriminante. Car comment attirer l’attention quand personne ne semble vouloir voir, ni entendre ce qui se passe. Une question qui divise au sein même du comité d’action. En effet, Ned est pour l’attaque frontale, les autres soutiennent plutôt la vision plus mesurée de Bruce (Andy Gillet), élu président.
Vaut-il mieux la violence de la révolte et du désespoir qui pousse parfois à des provocations contre-productives à la lutte ou la diplomatie et la patience, visant à gagner une reconnaissance capable de repousser la mort sociale qui résonnait avec le sida à l’époque ? Continuer une libération sexuelle sans restriction au risque d’ignorer les ravages de l’épidémie ?
On assiste aussi à des divisions violentes au sein de la communauté, entre les membres qui sont prêts à revendiquer leur orientation sexuelle et ceux qui préfèrent protéger leur vie privée.
Une colère à multiples facettes se fait jour : contre une maladie qui décimait alors à vue d’œil les membres d’une communauté en pleine libération sexuelle et à peine sortie de la honte sociale et morale, contre l’impuissance aussi du corps médical à faire autre chose que diagnostiquer et ostraciser les malades, contre l’indifférence et le mépris des pouvoirs publics, enfin contre l’inertie plus globale à faire bouger les lignes face à un mal plus mortel encore que la mise au ban d’une communauté par l’Amérique bien pensante.
Cette dimension de crieur dans le désert incarné par le personnage de Ned qui avait raison avant tout le monde, son obstination à la fois mal comprise par les siens et craint outre mesure par l’establishment, est très instructive et révélatrice à l’aune de la survenance d’une épidémie mondiale que nous avons connue dont des échos dans la gestion chaotique d’une crise sanitaire, sont alors perceptibles.
Il en est de même pour cette spécialiste du sida (Déborah Grall) qui s’avère être la seule personne à prendre en compte l’ampleur et la gravité de la situation en demandant des financements et dont la lucidité aussi clinique qu’implacable, lui vaut d’être frontale, revêche, coléreuse, elle aussi face à l’impuissance et à l’immobilisme des décideurs publics.
Le tout séquencé à travers une feuilleton théâtral fluide et rythmé qui mêle de nombreux registres allant de l’engagement au militantisme, du tragique à l’intime, du politique au fatalisme. Où à l’abri d’un décor sobre et astucieux, d’un jeu de lumière, on passe d’un lieu, d’une situation à l’autre, alliant la mise en abyme du groupe et/ou des personnages dont le couple Ned Weeks / Felix Turner (Jules Pélissier), à la dimension activiste du propos.
Les comédiens tous parfaits sont emmenés par l’excellent Dimitri Storoge dont l’incarnation puissante dans le rôle de Ned Weeks, impressionne.
Dates : à partir du 20 janvier 2022 – Lieu : Théâtre de la Bruyère (Paris)
Adaptation et mise en scène : Virginie de Clausade