La Mer d’Edward Bond, dernière vague le 15 juin : plongez !
La Mer occupe dans l’œuvre d’Edward Bond une place assez particulière puisque moins emblématique de la radicalité de l’auteur de Pièces de guerre qui n’a eu cesse de revisiter les moments, les lieux où l’humanité a été niée.
Elle s’inscrit dans une approche initiatique du monde mais foncièrement complexe où se mêlent l’imaginaire et le réel, le tragique et le comique, l’expérience immédiate et le cheminement méditatif, le poétique et le symbolique, pour une humanité en devenir.
La mise en scène très aboutie d’Alain Françon en restitue toute la dimension organique, fragmentaire et métaphorique où la mer constitue l’élément perturbateur, initiateur d’un bouleversement intime et collectif.
Le spectacle s’articule autour de huit tableaux séquencés par des intermèdes musicaux de Marie-Jeanne Séréro. Tantôt naturaliste ou abstrait, le décor de Jacques Gabel colle à l’univers fragmenté du dramaturge britannique.
L’histoire se situe dans une petite ville du Suffolk en 1907, et a été inspirée à Edward Bond par un souvenir d’enfance : l’image d’un réfugié juif, fuyant le régime nazie pendant la 2ème guerre mondiale, et retrouvé noyé sur les côtes anglaises.
La pièce débute par un naufrage où le jeune Colin se noie sous les yeux de son ami Willy. Sur la plage, le garde-côte volontaire est resté de marbre. Il s’agit de l’étrange Mr Hatch, marchand de tissu local, persuadé que ces naufragés sont des extraterrestres venus envahir la ville selon sa théorie du complot.
Contraint de rester en ville le temps de l’enquête, Willy le survivant apparait vite comme un intrus dans cette petite communauté bourgeoise bornée, repliée sur elle-même, et tenue d’une main de fer par Madame Rafi qui, sur fond de lutte des classes et d’humiliation des gens de peu, assure le maintien des convenances d’une société exsangue.
La troupe très bien dirigée est au diapason
Mais le salut viendra dans la fuite où la jeune Rose, fiancée éplorée de Colin, et son ami Willy seront autorisés à partir et à « changer le monde » sous l’œil approbateur de Madame Rafi qui fera preuve d’humanité et de lucidité. Une éclaircie temporaire car là-bas bientôt il y aura la première guerre mondiale.
Comédie très noire, de facture romanesque, cette fable sociale nous confronte à une expérimentation des personnages face aux situations dont le parcours intérieur se charge d’une évolution existentielle, porteuse de choix. Où la scène d’ouverture marquante de la tempête est emblématique qui voit le mort de l’un des deux garçons suite au nauvrage, initier une renaissance pour le second.
Mais on rit aussi beaucoup dans cette pièce qui voit les villageoises répéter Orphée dans une distribution des rôles aussi autoritaire qu’hilarante ou encore avec cette scène des obsèques de Colin dont la solennité s’éclipse rapidement derrière une rivalité entre Madame Rafi et sa gouvernante en rébellion et dont font les frais les cendres à disperser et les cantiques à entonner.
La troupe très bien dirigée est au diapason. Cécile Brune dans le rôle de Mme Rafi se révèle souveraine où elle incarne avec une fureur sourde et impérieuse ce personnage autoritaire et lucide, au service de sa condition. Dans le rôle de Hatch, Hervé Pierre s’empare avec brio de toute la démesure intérieure de son personnage tandis que Laurent Stocker en Evens, philosophe désabusé, est poignant de vérité.
Elsa Lepoivre est irrésistible en dame de compagnie qui se rebiffe et Jérémy Lopez captif en rescapé mélancolique sans oublier la solaire Adeline d’Hermy, qui interprète Rose.
Une entrée au répertoire aussi accomplie que réussie.
Dates : du 5 mars au 15 juin 2016 l Lieu : A la Comédie-Française (Paris)
Metteur en scène : Alain Françon