« Trois Soeurs » ici et maintenant
Le jeune metteur en scène australien Simon Stone propose une version contemporaine des Trois Sœurs d’Anton Tchekhov dont il fait entendre au présent les résonances générationnelles. Une relecture vibrante.
Les trois sœurs au destin empêché sur lesquelles se focalisent les enjeux de cette adaptation s’apprêtent à fêter l’anniversaire d’Irina, la plus jeune. Le deuil du père, mort il y a un an tout juste, s’est achevé.
La pièce écrite en 1900 cristallise l’existence quasi sans horizon de trois jeunes femmes : Olga, Irina et Macha arrivées là dans les bagages de leur père et qui rêvent de retourner là où elles ont passé leur enfance.
Mais l’élan vers l’avenir paraît définitivement enlisé, et le rêve du retour est marqué du sceau de l’illusion pour une jeunesse qui se perçoit sans avenir et échouée dans un monde trop vieux.
Le metteur en scène qui conserve la structure de l’œuvre et les relations entre les trois protagonistes dont les liens étroits tantôt les mobilisent dans leurs actes, leurs désirs ou au contraire les paralysent dans leurs rêves inaccomplis, n’a aucun mal à les confronter à la vacuité et à la dureté de notre époque ainsi qu’à ses paradis artificiels (drogue, alcool, sexe, jeux vidéo).
On parle du Brexit, des réfugiés, de Donald Trump et on boit des mojitos en chantant Britney Spears ou David Bowie.
Et si les personnages de Tchekhov rêvaient de rentrer à Moscou, le paradis perdu, ceux de Simon Stone rêvent de Berlin ou de New-York.
S’orchestre alors sur fond d’actualité saisissante, le désenchantement d’une génération aux prises avec sa quête de sens, sa place à prendre, son errance, ses histoires d’amour qui finissent mal en général sabotées par les angoisses et les illusions perdues.
Un vertige d’ailleurs phagocyté entre illusions et frustations
Dans cette temporalité propre à Tchekhov et que recrée le dramaturge où s’intercale le temps qui passe entre un futur en pointillé, un présent suspendu, un passé mortifère, les personnages sont à la fois forts et fragiles, ridicules et poignants.
Ils se consument à la brûlure de cette urgence de vivre où des couples se cherchent, se font et se défont, s’abandonnent et se perdent à travers des envies d’ailleurs, des idéaux malmenés, des fêlures existentielles, des trahisons intimes, des manques et des drames.
Univers grossissant où tous les rêves naissent, piétinent, se figent et sur lequel s’ouvre et se referme symboliquement la maison aux deux étages bâtis sur un plateau tournant dont la scénographie permet de multiplier les angles et de scruter au plus près des personnages, une tension ambiante.
La distribution emmenée d’une main de maître, habite d’une humanité ardente, ce vertige d’ailleurs phagocyté entre illusions et frustrations.
Dates : du 16 au 17 février 2018 l Lieu : Le Quai – CDN Angers Pays de la Loire
Metteur en scène : Simon Stone