Le texte élaboré et mis en scène par Sébastien Bizeau recèle des trésors d’inventivité. Mariant habilement théâtre classique, références modernes et teintes tragicomiques, Les mots d’Electre se veut un théâtre sans frontières et sans limites porté par 5 comédiens en état de grâce. La salle est rien de moins que subjuguée par le talent de Matthieu Le Goaster, Paul Martin, Maou Tulissi, Juliette Urvoy et Grégory Verdier sous les lumières acrobatiques de Tristan Ligen et une musique qui marque à merveille les étapes de l’intrigue. L’heure et demie passe dans un souffle pour un spectacle total et riche d’inventivité.
La théâtre grecque à l’heure d’aujourd’hui
Ce qui se veut une adaptation du célèbre mythe d’Electre mêle astucieusement la langue de Jean Giraudoux et des propos de dirigeants politiques du XXIe siècle tous plus hypocrites les uns que les autres avec leur langage abscons et toujours à la frontière entre vérité et mensonge. Dans la mythologie grecque, Électre est membre de la famille des Atrides. Selon la légende, Électre est la fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, et la sœur d’Oreste, d’Iphigénie et de Chrysothémis. Le mythe est complexe et tourne autour de l’idée de vengeance. Sébastien Bizeau choisit d’adapter le mythe sous angle moderne en se focalisant sur la question du langage. L’usage des mots est ainsi toujours ambigu et polysémique dans une pièce où les bons mots et les mots assassins ne cessent de fuser pour le plus grand plaisir du public. Car les procédés utilisés forcent le respect. Autour d’Electre, Oreste et leur mère, 2 comédiens ne cessent de multiplier les rôles et les performances, tour à tour serveur, médecin, fonctionnaire, ministre dans une farandole d’interprétations drolatiques ou tragiques. L’auteur insiste sur l’omniprésence des mots dans notre société hyperconnectée mais aussi sur leur manque volontaire de clarté pour échafauder un jeu de pouvoir et de manipulation entre les communicants manipulateurs et les récipiendaires perdus de l’information incapables d’utiliser l’information. La pièce étaye cette thèse en contextualisant des scénettes dans la sphère politique, professionnelle ou sur les réseaux sociaux. Les mots tuent, les mots paralysent, les mots empêchent de rétorquer et de se défendre. Savoir les utiliser à son avantage permet de prendre l’ascendant et de conserver le pouvoir. Avec l’utilisation de chansons, de discours politiques ou d’échanges à batons rompus, le rythme de la pièce reste constamment tendu pour une attention des spectateurs toujours sollicitée. Révéler ou dissimuler la vérité, la pièce ne cesse d’interroger sur notre utilisation des mots, et c’est éblouissant. Les coups d’été de l’antiquité ancienne son remplacés par des piques meurtrières en faisant le lien entre aujourd’hui et avant. La pièce est située dans le royaume d’Argos, celui-là même où Jean Giraudoux a situé l’intrigue de son Electre, avec la même volonté de l’héroïne de venger la mort de son père malgré les avertissements de son frère Oreste.
Le mélange est savoureux entre les mots de Giraudoux et une écriture contemporaine virtuose es comédiens talentueux et bourrés de talent. Certaines phrases resteront gravés dans votre esprit, comme ces mots éternels d’Albert Camus, mal nommer les choses revient à ajouter au malheur du monde. Une pièce à ne pas manquer, de retour le 16 mars au Théâtre de l’Atelier en attendant peut être d’autres résidences!
Synopsis: Quinze ans après le suicide de son père, le chef du restaurant étoilé Argos, Electre est confrontée à la maladie de sa mère plongée dans le coma. Animée par une haine pour sa mère qui la dévore, Electre veut convaincre le corps médical d’interrompre les soins, mais ses mots se heurtent aux paroles vides de sens de ses interlocuteurs. Son frère Oreste, absorbé par l’écriture d’éléments de langage pour le ministre qu’il conseille, tente de convaincre sa sœur de renoncer à son entreprise. Résolue à condamner leur mère au silence et à faire la lumière sur la mort de leur père, Electre enjoint à Oreste de l’aider à faire triompher la vérité – avec les armes d’aujourd’hui : les mots, ceux qui disent, qui révèlent, et parfois tuent.