@Christophe Raynaud de Lage
Paris quartier d’été – Athénée Théâtre Louis-Jouvet du 21 au 24 juillet 2015
Dans ces pièces, Howard Barker mêle l’intime et l’Histoire, le désir et la mort à travers des personnages féminins saisissants, se débattant entre le rationnel et l’irrationnel, la raison et la pulsion, qui sont tout à la fois des victimes sacrificielles et des héroïnes tragiques d’une puissance absolue.
Dans un décor angoissant, avec des pains de glace suspendus dans les cintres qui ruissèlent sur la scène en fondant au-dessus de la comédienne et se fracassent sur le sol à mesure que le temps passe, Nathalie Dessay est virtuose. Où son jeu passe d’une émotion, d’une intonation à une autre, de l’espoir à la torpeur, du rire au larmes, de la séduction à la dévastation, du sarcasme à la soumission
Und (« et », en allemand) est un long monologue pour une femme seule, qui attend un homme qui ne viendra pas.
Ni le lieu ni le temps de la pièce ne sont représentés, mais un événement traumatique hante le texte : le génocide juif. La femme est juive mais aussi aristocrate, et amoureuse d’un homme que l’on soupçonne d’être nazi. Ce partenaire n’est pas présent sur le plateau mais se manifeste par des bruits inquiétants: cloches, verre brisé, porte enfoncée à coups de massue.
Il est en retard. Alors elle parle. D’expectatives en interrogations, de désirs en frustrations, elle sème le doute dans nos esprits. Est-elle cette Juive que le visiteur vient chercher ou bien une amoureuse déçue ? Est-elle folle, joue-t-elle à nous séduire ? Est-ce la mort qu’elle conjure ? Les sinuosités du texte confinent au vertige.
Et dans ce déferlement de mots, elle incarne ce théâtre de la solitude et de la désolation, propre aussi à Winnie dans “Oh les beaux jours”, de Samuel Beckett.
Elle comble ainsi le vide comme pour conjurer l’absence, la menace qui rôde, le désarroi et l’anéantissement qui la saisissent.
Avec une écriture sur le fil, qui mêle âpreté et humour noir, le dramaturge anglais tisse ici le portrait d’une femme dont la parole devient une arme de survie et dont les états d’âme qui la traversent passent du sublime au trivial, du lyrisme au prosaïque.
La mise en scène sensorielle de Jacques Vincey, directeur du centre dramatique régional (CDR) et la traduction de Vanasay Khamphommala, spécialiste de Barker, sont au plus près de la résonance énigmatique, métallique et chaotique du texte.
Dans un décor angoissant, avec des pains de glace suspendus dans les cintres qui ruissèlent sur la scène en fondant au-dessus de la comédienne et se fracassent sur le sol à mesure que le temps passe, Nathalie Dessay est virtuose. Où son jeu passe d’une émotion, d’une intonation à une autre, de l’espoir à la torpeur, du rire au larmes, de la séduction à la dévastation, du sarcasme à la soumission.
Et de ce combat intime que nous livre l’héroïne, c’est aussi celui d’une l’humanité qui s’esquisse : une lutte désespérée contre l’anéantissement, traversée de grandeur, de traumatismes et de barbarie à visage humain…