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Une « Aida » réinventée à l’Opéra Bastille : le mythe à l’épreuve du présent

Une « Aida » réinventéee : le mythe à l’épreuve du présent
Photo Bernd Uhlig / OnP

Une « Aida » réinventée à l’Opéra Bastille : le mythe à l’épreuve du présent

Confier « Aida » à Shirin Neshat n’avait rien d’anodin : artiste iranienne, elle a toujours fait de la condition féminine et des fractures politiques le cœur de son œuvre. À Bastille, son regard transforme l’opéra de Verdi en une tragédie qui parle au présent, où les femmes apparaissent comme les véritables centres nerveux du drame et où le peuple opprimé prend enfin toute sa place.

Dans la mise en scène, le cube monumental domine tout — prison, tombeau, sanctuaire. Et impose d’entrée une tension : symbole du pouvoir, de l’enfermement. Ce monolithe qui s’ouvre, se ferme, révèle, dissimule, dit à la fois la force étouffante des dominations et le désir d’éclatement.

Le jeu des costumes, des couleurs, des lumières renforce cette dialectique : le noir pour l’oppression, les esclaves, les rescapés, les visages souffrants ; le rouge, l’or, les costumes somptueux pour le pouvoir égyptien, ses prêtres, ses fastes. Parfois, cette fantasmagorie de couleurs crie encore plus fort dans le silence des scènes d’intimité ou dans l’épure des duos.

Les projections vidéo quant à elles — exils, désert, violences — brisent la distance historique et ramènent Verdi au cœur des fractures contemporaines : guerre, fanatisme, migrations.

Entre faste et dépouillement 

Mais ce dispositif minéral, loin d’écraser les personnages, agit comme un révélateur. Et ce qu’il révèle surtout, ce sont les visages et les voix des femmes. Aida, captive étrangère, partagée entre amour et loyauté, incarne l’exil intime ; Amneris, princesse égyptienne, fait surgir la violence du pouvoir et de la jalousie ; les prêtres, avec leur froideur rituelle, incarnent une autorité masculine emmurée.

Neshat, fidèle à son univers, met en lumière la tension entre l’enfermement social des femmes et leur capacité à dire, par la voix, une vérité universelle. À mesure que le cube se resserre, ce sont elles qui en fissurent les murs symboliques, jusqu’à la mort finale, vécue comme une victoire intime plutôt qu’une simple fatalité.

Le chœur, lui, n’est plus un simple ornement sonore. Dès les premières scènes, il s’impose comme un véritable personnage collectif : il porte le poids des guerres, incarne la mémoire des vaincus, donne un visage au peuple écrasé par le triomphe militaire.

Verdi avait déjà écrit pour le chœur un rôle prépondérant ; Neshat et Michele Mariotti le font résonner comme la conscience même de l’opéra. On se surprend à entendre non pas des foules, mais des individus : des voix humaines, fragiles, solidaires. Ce n’est plus seulement un arrière-plan sonore, c’est un protagoniste dramatique à part entière.

Côté interprètes, Piotr Beczała impose un Radamès noble, solide, dont les aigus jaillissent sans effort et dont la fragilité se lit dans les passages plus tendres. Ève-Maud Hubeaux incarne une Amneris de chair et de sang, tour à tour cruelle, jalouse, puis bouleversante dans son désespoir final. Saioa Hernández, en Aida, apparaît plus retenue : le début de son parcours est dominé par une prudence vocale, mais peu à peu son chant gagne en intensité, jusqu’à trouver dans la mort partagée la brûlure qu’on attendait.

Michele Mariotti dirige avec une élégance mesurée, refusant l’emphase trop facile. Il ménage des respirations, des silences, qui permettent à la musique de Verdi de déployer toute sa tension dramatique.

Au-delà de la splendeur du plateau vocal, c’est le regard de Neshat qui s’impose : celui d’une artiste qui lit dans « Aida » non pas un exotisme de carton-pâte, mais une tragédie de l’exil, de la domination et du sacrifice féminin.

En somme, cette « Aida » n’est pas seulement une histoire d’amour impossible : c’est une fresque où les femmes et les peuples parlent d’une même voix. Une voix qui traverse les siècles, qui résonne dans le cube de Neshat, et qui nous rappelle que derrière les fanfares triomphales, il y a des peuples écrasés, des amours congédiés, des femmes sacrifiées.

 Dates : du 24 septembre au 4 novembre 2025 – Lieu : Opéra Bastille (Paris)
Mise en scène : Shirin Neshat

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Plateau vocal
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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