La verve mordante de Jean Genet irradie au théâtre de l’Athénée Louis Jouvet avec l’adaptation iconoclaste de son « Elle » par Alfredo Arias
Les mots de Jean Genet ont une musique et un rythme bien particuliers, à coup de longs monologues absurdes qui déconstruisent la réalité pour mieux en montrer la farce cachée. Alfredo Arias le démontre sans mal avec sa mise en scène de « Elle », pièce en un acte rédigée en 1955 d’un seul jet et restée inachevée jusqu’à sa publication posthume en 1989, trois ans après le décès de l’écrivain. Le pape en est le héros bouffon, lui qui doit se faire tirer le portrait sans qu’il sache vraiment ce que son image figée va représenter de lui auprès de la foule innombrable des fidèles. « Elle » est précédé du court prologue burlesque Juliette et le Pape du Marquis de Sade et clôturé avec l’épilogue À un Pape de Pier Paolo Pasolini pour mieux parfaire la mise en abime irrévérencieuse du personnage public statufié dans une représentation devenue creuse.
Une pièce furieusement iconoclaste
Les choix de mise en scène d’Alfredo Arias font autant sourire que réfléchir. Sobrement meublée de deux prie-dieu, d’un fauteuil richement tapissée et d’un appareil photo ancien à soufflet, la scène laisse toute la place aux 4 comédiens pour déambuler à leur guise et étaler leurs états d’âme burlesques. L’huissier haut en couleur (Alejandra Radano) donne le rythme de la séance photo, enjoignant le photographe (Adriana Pegueroles) à magnifier sa Sainteté (Afredo Arias) dans toute sa splendeur. Leurs échanges sont d’autant plus farfelus que les quelques minutes initiales de la soirée ont laissé le champ libre au Marquis de Sade avec un pape saphique (Marcos Montes) en roue libre et joyeusement déluré. Le ton de la pièce est à la mise en abime des icônes, rejetant aussi loin que possible les artifices de l’image publique pour montrer la solitude d’un homme dangereusement coupé de tous. Car « Elle », c’est sa Sainteté le pape, personnage au-dessus de tout soupçon mais pourtant réticent à se conformer à son image symbolique immaculée pour rester avant tout lui-même, pauvre mortel loin du cliché de perfection habituellement véhiculé.
Une mise en abime de la papauté
Alfredo Arias affuble ses personnages ecclésiastiques de tenues faisant penser à des costumes de carnaval pour mieux suggérer la tromperie et la duplicité, ce que les nombreux intermèdes musicaux à la mode easy listening soulignent d’autant plus. Loin des standards protocolaires habituellement diffusés, Jean Genet dote son pape de patins à roulettes et lui fait prendre des poses à la limite du grotesque. En désacralisant le pape, il le fait devenir homme pour le cesser de le couper de la masse des humains, ce que les rideaux tour à tour transparents ou opaques suggèrent habilement. Faut-il donc se cacher ou au contraire se dévoiler pour occuper cette position honorifique qui oblige moralement à l’empathie et à l’action? Alfredo Arias donne des éléments de réponse en clôturant ce moment de théâtre avec le très critique épilogue À un Pape de Pier Paolo Pasolini, charge violente contre la fâcheuse tendance papale contemporaine à ne pas prendre part aux affaires du monde. A trop s’élever au-dessus de la mêlée, le pape en deviendrait une coquille vidée de sa substance en se coupant de ses semblables.
La mise en scène de « Elle » fait honneur à la prose féconde d’un Jean Genet habile pour déconstruire les mythes et les images d’Epinal. Et si le spectacle frise parfois l’hermétisme dans ses symboliques outrancières, il n’en reste pas moins fascinant.
Dates : du 7 au 24 mars 2018,
Lieu : Théâtre de l’Athénée Louis Jouvet (Paris)
Metteur en scène : Alfredo Arias
Avec : Alfredo Arias, Marcos Montes, Adriana Pegueroles, Alejandra Radano