
Le Lucernaire laisse le champ libre dans à l’adaptation de Vipère au Poing la salle du Paradis, roman largement autobiographique de Hervé Bazin publié en 1948. L’ouvrage décrit l’enfance et l’adolescence du narrateur, Jean Rezeau surnommé Brasse-Bouillon dans un contexte familial tendu. Sa mère Paule Rezeau détient le surnom pas très flatteur de Folcoche et se révèle une mère plutôt cruelle et très peu aimante. Le huis clos entre la mère indigne et ses 3 enfants martyrisés est transformé en un seul en scène très inspiré qui prend le public à la gorge.
Un seul en scène éblouissant
Ce sont 3 tableaux noirs d’écolier et une myriade de chaises renversées qui accueillent les spectateurs, vestiges de ce qui semble être un champ de bataille. Des gribouillis parsemés de fautes d’orthographe (Confaisser?), des dessins et des initiales d’enfants attirent d’abord l’attention, avec en sus ses petits bouts de papier dont on ne sait s’ils sont déchirés ou abandonnés. Quand le massif Aurélien Houver déboule sur scène, les mots se bousculent dans son gosier, lui tout pressé de raconter les quelques années où lui et ses 2 frères ont subi les avanies d’une mère sadique et atrabilaire. Le canevas du livre est respecté à la lettre. Durant l’été 1922, les 2 ainés Jean et Ferdinand doivent retrouver leurs parents après avoir été élevés par leur grand-mère paternelle dans le château familial de la Belle-Angerie au nord d’Angers. Mais la mort de cette dernière oblige les parents, Jacques et Paule Rezeau à quitter la Chine où le père enseignait dans une université de Shanghai pour revenir s’occuper de leurs enfants. C’est avec impatience et curiosité que les 2 enfants attendent leurs parents à la gare. La rencontre est prémonitoire de la suite des évènements. Ils se jettent sur leur mère comme le ferait tout bon enfant pour l’embrasser mais elles les repoussent violemment, la suite sera du même acabit. Il faut une sacrée dose de talent pour tenir le public en haleine avec une histoire partie sur des bases aussi triste, Aurélien Houver n’en manque heureusement pas. Avec une diction tantôt fiévreuse tantôt à la colère plus rentrée, il s’anime avec dextérité pour 1h15 de spectacle habité par la rage. Les contrariétés se succèdent avec ces repas tendus, ces anecdotes remplies de colère et ces souvenirs qu’il préfèrerait oublier. Mais le narrateur tient bon face à un ennemi mortel à qui il ne veut pas céder un pouce de terrain. Le comédien finit par avouer que cette mère détestable se félicitait d’une telle éducation à la (très) dure pour préparer ses progénitures à la dureté de la vie à venir. La mise en scène de Victoria Ribeiro plutôt sobre et allusive contribue à placer le comédien au centre de la focale pour lui permettre de donner le meilleur de lui-même, il y parvient avec force, comme le démontre aisément sa chemise remplie d’une sueur à la hauteur de son implication aussi bien physique que morale dans ces différents rôles. Le public parvient à comprendre qui est cette vipère que le héros tient dans son poing resserré sur un animal dangereux qu’il faut saisir sans hésitation afin de le faire taire, entre la métaphore et l’acte manqué…
Le spectacle se suit comme un match de boxe où les adversaires ne baissent jamais la garde pour rendre coup pour coup. Le comédien interprète chacun des protagonistes avec des postures et des tons de voix caractéristiques, le résultat est à la hauteur de la profondeur du roman, l’auteur aurait adoubé cette adaptation si réussie.
Synopsis:
LA HAINE EST UN LEVIER PLUS PUISSANT QUE L’AMOUR
L’un des plus grands romans de la littérature française pour la première fois au théâtre : un seul-en-scène violent et drôle à l’écriture aiguisée. Jean, dit Brasse-Bouillon, mène avec ses frères une guerre sans merci contre leur mère, une femme impitoyable et cruelle qu’ils ont surnommée Folcoche. Un témoignage vital et incendiaire qui dynamite les conventions traditionnelles de la relation parents-enfants. Entre fiction et autobiographie, Vipère au poing dresse le portrait d’une famille détestable et attachante bravée par le cri de révolte d’un enfant.
Une sanglante partie d’échecs qui fait des membres d’une même famille des ennemis mortels.
Détails: