Vu du pont : la blessure tragique d’Arthur Miller en tournée à Caluire.
Le théâtre d’Arthur Miller est travaillé par une tension constante entre l’intime et le social qui voit à partir d’un destin personnel aux prises avec un enjeu collectif, des rapports de force s’affronter et embrasser des questions sociales, politiques et morales.
Dates : Du 11 au 15 avril 2017
Lieu : Au Radiant-Bellevue
Metteur en scène : Ivo van Hove
Après avoir monté les « Les Damnés » de Visconti avec la troupe du Français et “The Fountainhead”, Ivo van Hove est en tournée à Caluire avec « Vu du pont », succès public et critique présenté la saison dernière aux Ateliers Berthier Odéon-Théâtre le l’Europe à Paris, dans une mise en scène aussi acérée que percutante.
[…] Un spectacle puissant pour un geste à la fois esthétique et dramaturgique […]
Eddie Carbone, docker de Brooklyn est malheureux en couple avec Béatrice, sa femme, et inconsciemment amoureux de Catherine, leur nièce qu’ils ont élevé depuis l’enfance.
Il travaille honnêtement pour s’en sortir mais évolue dans une microsociété d’immigrants italiens qui a pour règle les lois de son pays d’origine où le code de l’honneur et de la vengeance priment sur la justice. Où toute transgression conduit au rejet définitif de la communauté et à la perte d’identité.
Son destin bascule avec l’arrivée de cousins siciliens qui ont décidé d’émigrer aux États-Unis afin d’y trouver du travail et, peut-être, d’y refaire leur vie.
Le plus jeune des deux frères adore chanter, mais le bruit risque d’alerter les voisins « Il faudra que tu te taises, Rodolfo ».
Très vite, Catherine succombe à son charme et Eddie ne le supporte pas. La jalousie l’envahit, le dévore. Il cherche à comprendre, se débat, et met en garde sa nièce contre un mariage qui permettrait très facilement à son prétendant d’obtenir automatiquement la nationalité américaine.
Autour de lui, les différents acteurs du drame sont témoins de son malaise et tentent de le raisonner. Mais le « mal » implacable devient de plus en plus insupportable, et c’est en homme aveuglé mais déterminé qu’Eddy décidera de commettre l’irréparable, jusqu’à en perdre la vie.
L’histoire d’Eddie nous est racontée par un narrateur, l’avocat Alfieri, témoin du drame, lequel accompagne épisodiquement, tel un chœur antique, la perdition et se place, en fonction de la trame narrative, autour du dispositif, très judicieux, en tri-frontal conçu par Ivo van Hove et Jan Versweyveld, son décorateur.
La pièce, aux résonances actuelles, traite des difficultés rencontrées par les immigrants contraints de s’adapter à un monde nouveau, des clandestins et de leur exploitation, le tout à travers un fait divers qui casse le rêve américain et se charge des ressorts de la tragédie grecque sur fond de trahison et de chute sacrificielle.
Et loin de tout jugement, Arthur Miller creuse la complexité et l’ambivalence des tourments d’Eddie, confronté au sentiment trouble qu’il éprouve pour sa nièce et à son statut de déraciné.
Telle une arène qui configure à la fois le dehors et le dedans, le décor se compose essentiellement d’un rectangle blanc, encadré de parois en plexiglas, dont l’abstraction glaçante et intemporelle imprime le couperet de la tragédie, délestée de tout naturalisme, portée par un jeu physique et minimaliste, évitant toute connotation mélodramatique.
Il est surmonté de gradins d’où le public, captif, observe transi les protagonistes et scrute au plus près les lignes de tension de la dramaturgie parfaitement séquencées à l’abri d’une direction d’acteurs qui impressionne, ponctuées du Requiem de Fauré, et d’images marquantes dont Ivo van Hove a le secret pour un final d’anthologie.
[…] un fait divers qui casse le rêve américain et se charge des ressorts de la tragédie grecque […]
La distribution (Nicolas Avinée, Pierre Berriau, Frédéric Borie, Pauline Cheviller, Alain fromager, Laurent Papot, Caroline Proust) au diapason est emmenée par un Charles Berling à son meilleur, où les questionnements d’Eddie face à lui même et aux autres lui valent une composition prenante, là où son vertige intérieur nous hypnotise.
Un spectacle puissant pour un geste à la fois esthétique et dramaturgique.
[…] Charles Berling dans Vu du Pont d’Arthur Miller, mise en scène Ivo Van […]