La Chute, pièce de théâtre surpuissante au Théâtre Darius Milhaud
La Chute est l’adaptation de l’ouvrage éponyme d’Albert Camus sur la scène du Théâtre Darius Milhaud. Un homme seul joue le narrateur Jean-Baptiste Clamence et reprend l’aveu fait à un inconnu rencontré dans un rade d’Amsterdam. L’acteur Jean Lespert débute par cette formule rentrée dans la légende: « Puis-je monsieur vous proposer mes services sans risquer d’être importun? » La profondeur de l’ouvrage est brillamment restituée dans une mise en scène minimaliste et oppressante.
La profondeur de l’ouvrage est brillamment restituée dans une mise en scène minimaliste et oppressante
Albert Camus disait de son roman La Chute « J’y ai utilisé une technique de théâtre – le monologue dramatique et le dialogue implicite – pour décrire un comédien tragique. J’ai adapté la forme au fond, voilà tout. » Jean-Baptiste Clamence s’adresse à un interlocuteur dont le spectateur ne connaitra jamais l’identité. Individu anonyme en voyage d’affaires, ce peut être n’importe qui, ce peut être le spectateur pris à témoin.
Gorgé de vanité et d’autosuffisance, Clamence multiplie des confessions d’abord élogieuses à son égard avant de verser subrepticement vers l’autoflagellation. Le tournant se situe au détour d’un incident relaté en détail. Cette femme aperçue sur un pont sans un mot et tombée à l’eau. Suicide ? Accident ? Clamence n’a pas bougé, entendant le bruit d’un corps se laissant tomber à l’eau. Restera ce sentiment de culpabilité, d’abord voilé puis de plus en plus obsédant.
Le texte d’Albert Camus est parfaitement restranscrit par un Jean Lespert sobre, à la voix étouffée et aux effets laconiques. La salle d’une vingtaine de personnes écoute religieusement les répliques philosophiques du personnage. « Je jouissais de ma propre nature et nous savons tous que c’est là le bonheur« , « Nous ne sommes qu’à peu près en toutes choses« , « Jugez pour ne pas être jugés« , « La chute se produit au matin« .
Le texte se suffit à lui-même et son énoncé paralyse une audience hypnotisée par tant d’impartialité. Le seul artifice consiste en cette musique spectrale qui renforce l’atmosphère pesante et habille les pauses du comédien. Le livre est un délice à parcourir, cette pièce le restitue brillamment dans sa force analytique. L’être humain est mis à nu et exhibé pour ce qu’il est. Un être futile et contradictoire.
Le comédien seul en scène retranscrit parfaitement l’atmosphère de l’ouvrage et à fait vivre l’art d’Albert Camus. il parvient à faire vivre Camus avec élégance, dans une introspection glaçante car implacable.
Dates : Tous les mardis à 19h jusqu’au 28 juin 2016
Lieu : Théâtre Darius Milhaud
Metteur en scène : Vincent Auvet
Avec : Jean Lespert