A l’Opéra Bastille, « La Force du destin » ou l’opéra verdien par excellence
La Force du destin est un des très rares opéras de Verdi dont le titre ne se réfère pas à l’un des personnages. Car le seul acteur de l’œuvre est le destin lui-même : un astre noir qui attire chacun des protagonistes sur des voies contraires, sans lutte possible, les broyant irrémédiablement.
On y entend autant la voix du peuple italien, les plaintes et les malheurs des pauvres gens que les prières des moines, les cris et les fureurs guerrières tous pris par les fourches caudines de la volonté divine.
La littérature romantique abreuve l’œuvre verdienne et notamment la littérature ibérique, à la source de La Force du destin, éclatante de violence, de pathétisme et d’héroïsme. Mais alors que l’opéra expose les passions extrêmes propres au romantisme, il n’en demeure pas moins influencé par l’une des inspirations majeures de Verdi : Friedrich von Schiller, et plus spécifiquement ici son Camp de Wallenstein.
La religion est aussi une composante de l’ouvrage à travers notamment le cadre du couvent, mais aussi les thèmes de la faute, du châtiment et de la rédemption. L’opéra est parcouru d’un sentiment de religiosité où l’autorité divine est présentée comme une puissance parallèle à celle du dont sont victimes les personnages.
Des personnages sous haute tension
L’intrigue de « La force du destin », opéra créé en 1862 à Saint-Pétersbourg, relate le destin tragique de Leonora qui s’apprête à fuir avec son amant Don Alvaro, fils d’un noble espagnol et de la dernière princesse des Incas. Le père de Leonora, hostile à leur union, les surprend. Il est tué accidentellement par Don Alvaro. Il les maudit avant d’expirer. Les deux amants, séparés dans leur fuite, sont hantés par cette malédiction alors que le frère de Leonora, Don Carlo, les poursuit de sa vengeance aveugle.
Une histoire de vendetta donc, portée à son paroxysme à l’abri d’une partition tantôt pleine d’allant, tantôt déchirante jusqu’à l’excès qui fait coexister un univers intime, replié, habité par la vengeance, et celui, plus large, multiple, propice à des scènes de foule envahies de muletiers, de soldats, de pèlerins et de moines, d’un souffle lyrique saisissant.
Sur scène et en étendard l’inscription « Viva V.E.R.D.I ». Outre le nom du compositeur, Giuseppe Verdi (1813-1901), ce sigle que l‘on peut lire « Viva Vittorio Emmanuele Re D’Italia » était aussi, lors du Risorgimento, au milieu du XIXe siècle, le cri de ralliement des patriotes à l’unité italienne. Le livret fait la part belle aux œuvres espagnoles du XVI et du XVII siècle, basées sur la violence, les horreurs de la guerre, la haine, la vengeance, la foi et la mort, et possède toutes les vertus du mélodrame romantique italien cher à Verdi.
C’est à cette époque que le metteur en scène Jean-Claude Auvray transpose ce drame traversé par toutes les passions : l’amour, le meurtre, la vengeance et la guerre. Dans un geste épuré et minimaliste, le plateau s’apparente à un no man’s land unique et indéfini qui conduit inéluctablement au néant. Un espace tourmenté et introspectif qui se consume au fil du récit et en miroir au déchirement intérieur des personnages et de la perdition qui est à l’œuvre.
Des voix d’exception
Portée par une direction d’acteurs/chanteurs au cordeau, le metteur en scène installe un climat et crée des images évocatrices d’un paysage mental dont les tourments se consument sous un ciel maudit.
Le tout emmené par un plateau vocal de haute tenue, porté par des voix d’exception comme celle de la soprano Anna Pirozzi, divine, du ténor Russell Thomas, et des barytons Ludovic Tézier, Nicola Alaimo ou encore la basse Ferruccio Furlanetto qui exacerbent les actes manqués, la passion dévastée, la rédemption ou la haine mortifère. Sans oublier la présence mémorable du chœur sous la direction de Ching-Lien Wu.
Chaque tessiture des interprètes embrasse alors le drame, l’explore et le révèle sur la trame musicale ardente, intense et foisonnante du chef d’œuvre de Verdi dont l’architecture se dévoile et se déploie sous la direction aboutie et maîtrisée de Jader Bignamini. Bravo !
Dates : 12 au 30 décembre 2022 – Lieu : Opéra Bastille (Paris)
Mise en scène : Jean-Claude Auvray