American Psycho entre drame et caricature au Théâtre de Ménilmontant
Adapter American Psycho au théâtre relève de la gageure. L’ouvrage de Bret Easton Ellis multiplie les outrances et les massacres pour une critique en règle du capitalisme matérialiste et désincarné des années 80. Comment retranscrire sur scène le trouble du personnage sans virer exagérément vulgaire et insoutenable? Le résultat est très intéressant en même temps qu’inédit.
Patrick Bateman est un Golden Boy typique de Wall Street. Du haut de ses 26 ans, il semble avoir atteint le trop de sa carrière. Costumes parfaitement ajustés, critères hautement sélectifs, il ne vise que le meilleur. Cette exigence de perfection le fait dérailler petit à petit jusqu’à franchir la ligne rouge pour enfin ressentir quelque chose.
Une adaptation surprenante
La pièce a le bon gout de ne pas viser la copie littérale. Le récit de l’auteur est adapté, mélangé, concassé, pour une adaptation différente, arrangée à notre époque et plus caricaturale qu’effrayante. Pour qui a lu l’ouvrage et vu le film plusieurs fois, la mise en scène reprend les codes à la mode années 2010. Le visage immuable et figé de Christian Bale laisse place à celui plus élastique et plus cocasse de Romain Canonne. Son physique puissant et monolithique tranche avec ses mimiques humoristiques pour un personnage renouvelé. Loin de la pesanteur glaciale du livre et du film, ce Bateman semble plus pittoresque que dangereux. A ces côtés évolue un petit cirque de collègues déshumanisés et de bourgeoises superficielles qui souligne la vacuité de cet univers.
Un choix de mise en scène inattendu
Pour personnifier l’esprit torturé du héros, 3 comédiennes interviennent à intervalles réguliers, seulement perçues par lui. Comme 3 harpies de l’enfer, elles lui soufflent ses répliques et commentent les évènements, faisant penser que le héros est comme envouté ou sous le coup d’une malédiction. Son handicap émotionnel donne lieu à des situations paradoxales où son esprit torturé le fait agir curieusement. Souvent à côté de la plaque, se battant avec des obligations de représentation qui concourent à son malaise intérieur. Son faciès devient presque bouffon comme un prémisse à ses extrémités meurtrières. La pièce est maintenue sur un rythme rapide au diapason du décor épuré. Un bureau, des fauteuils, les projecteurs sont surtout tournés sur des acteurs transformés en poupées désincarnées.
Une violence passagère
A l’inverse du film et encore plus du livre, la violence n’apparait que par vagues elliptiques. Le focus est plus mis sur l’incapacité du héros à trouver la juste attitude face à ses semblables que sur ses élans destructeurs. La pièce surprend surtout si vous vous attendez à une adaptation fidèle au livre. Mais loin de déplaire, ce parti-pris maintient l’attention et entretient l’intérêt. Pour qui ne connait pas l’esprit d’Ellis et n’a pas vu le film, la pièce se rapproche plus du divertissement que de la réflexion sociale. L’ajout de références actuelles comme smartphone, Ipad et Facebook brise la frontière temporelle et la relative simplification d’enjeux sociaux placés au second plan n’empêche pas de passer un bon moment de théâtre.
Le Théâtre de Ménilmontant enchaine les adaptations d’ouvrages cultes et ne cesse de surprendre. Même si la complexité du livre n’est pas complètement retranscrite, la pièce surprend et mérite d’être découverte.
Dates : Vendredis et samedis du 30 septembre au 16 décembre 2016
Lieu : Théâtre de Ménilmontant (Paris)
Metteur en scène : Stéphane Anière
Avec : Romain Canonne, Aurélie Vigent, Aurélie Teillard