Au Français, un “Music-hall” qui swingue sous la parole intranquille de Lagarce

Au Français, un “Music hall” qui swingue sous la parole intranquille de Lagarce
Francoise Gillard, entourée de ses Boys, Gaël Kamilindi (à gauche) et Yoann Gasiorowski (à droite). (© Vincent PONTET/Comédie Française)

Au Français, un “Music-hall” qui swingue sous la parole intranquille de Lagarce

Music-hall c’est une histoire sans histoire. Un numéro.

Une fille, chanteuse de music-hall un peu fêlée et ses deux acolytes, qui pour la énième fois, s’apprêtent (à priori), à entrer en scène en ressassant leurs vies … Mais qui sait ? peut-être répètent-ils inlassablement leur entrée en scène, en (ré) inventant leurs vies.

Les trois acteurs sont là, quelque part, dans la salle. Ils attendent un public qui, peut-être ne viendra pas. C’est l’histoire d’un énième recommencement, de trois personnes qui se livrent et tentent, une fois encore, de suspendre à jamais l’instant de la représentation, où tout devient encore possible. Et de là peut surgir la parole, son silence aussi ; la possibilité de dire comme de ne plus dire et que cela soit entendu.

Music-Hall creuse, comme toute l’écriture de Lagarce, où la parole sacralise la dramaturgie à travers un dialogue ressassant, qui porte à son paroxysme la difficulté à être et à dire.

La pièce raconte donc ce qui a été, ce qui aurait pu être, ce qui peut-être n’a jamais été ou si peu. Ce qui ne sera plus ou peut encore advenir et jusque dans le fantasme de l’acteur et l’illusion du théâtre qui créent cette réalité plus grande, plus forte et plus puissante. Ce mirage plus vrai que vrai, plus réel que toute apparente réalité. Ce mensonge qui permet la survie.

Une parole intranquille et fébrile

Elle est là donc, dans l’improbable attente d’une représentation. Elle et ses deux acolytes. Ensemble, au pays lointain de l’illusion, ils ont tendu un fil, sur lequel, en équilibre, ils se remémorent ces souvenirs de théâtre, de vie, de tournées. Des histoires à dormir debout, des récits échevelés sur les grandeurs et misères, les misères surtout, de la vie d’artiste, la leur, celle de Jean-Luc Lagarce.

C’est aussi et surtout un possible, le temps de la représentation, devant un public qui n’existe pas ou plus.

Mais à ce stade, la présence du public n’a plus d’importance car la foi des comédiens et la beauté du geste suffisent pour révéler le Théâtre et son emprise sur une vie réelle ou fantasmée.

Music-hall est donc une célébration du spectacle et de cette aventure folle, fragile mais toujours épique. Jean-Luc Lagarce écrit Music-Hall au moment où il apprend qu’il est atteint du Sida et se sait condamné. On y entend les résonances d’une âme accrochée à la vie pour une pièce terriblement drôle à l’ironie mordante et mélancolique à la fois.

Et par delà cette remémoration continuelle, la pièce raconte aussi comment face au néant, on n’abandonne pas, on continue envers et contre tout, alors que la mort rôde et que la mélancolie règne.

La metteuse en scène-chorégraphe, Glysleïn Lefever, s’empare avec brio de la langue ciselée, vertigineuse, de Lagarce, aux multiples variations, dont la chorégraphie subtile et espiègle des corps, magnifie à merveille la légèreté et la dérisoire vacuité de l’exercice de la scène où se mêlent à l’envi le rêve et la réalité.

La parole y est comme toujours singulière. Elle semble ne jamais finir, suspendue, à tiroirs, musicale, à la recherche incessante de l’infinie précision. Elle swingue sous la menace de la rupture ou de la chute définitive, brave le silence, résiste.

A l’abri d’un décor de paradis blanc de Chloé Bellemère, entre l’ici et l’ailleurs, le trio – emmené par Françoise Gillard (La Fille) à la présence aussi solaire qu’impétueuse, et Gaël Kamilindi et Yoann Gasiorowski, ambigus à souhait – s’imprègne avec force et volupté de la parole intranquille et fébrile du grand dramaturge.

Dates : du 17 décembre 2021 au 9 janvier 2022 – Lieu : Comédie-Française Studio  (Paris)
Metteur en scène : Glysleïn Lefever

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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