Le Camp ou les dessous d’une grande école française (CreateSpace)

Nathan Comons © Nathan Comons

Le Camp ou les dessous d’une grande école française (CreateSpace)

Publik’Art est heureux d’avoir eu un contact direct avec Nathan Comons, jeune rédacteur du livre : Le Camp. Ce livre reste un peu particulier car il dissèque une grande école de commerce parisienne, qu’il nomme HIC. Pas besoin de traduction pour comprendre de quelle école il s’agit. Bien sûr, tout a déjà été dit sur cette école sauf ce que dit Nathan ! Il va loin, très loin dans son analyse. Beaucoup de faits perturbants voire dérangeants, de drogue, de sexe surtout, font de ce livre une satire de notre société intellectuelle capitaliste poussée à l’extrême et surtout centrée sur le sexe, sous toutes ses formes. Pour mieux appréhender le contenu du livre, nous avons choisi d’interviewer l’auteur : Nathan Comons.

Publik’Art : Pourquoi as-tu eu besoin d’écrire ce livre ?
Nathan Comons : J’ai écrit l’essentiel du livre pendant que j’étais sur les bancs de l’école, le soir, surtout la nuit en fait, parce que mes jours étaient devenus trop durs à supporter. Comme d’autres étudiants, j’ai littéralement pété un câble, me sentant comme étouffé, dans un environnement glacial et confiné. Il me fallait renouer avec du sens, à la fois pour comprendre ce qu’il m’arrivait, mais surtout pour exprimer un cri. Pas une lamentation, juste un cri, une sorte d’appel à l’aide destiné à interrompre le mal. On peut trouver ça exagéré, et considérer que ce n’était qu’un état d’âme de bobo – j’ai déjà entendu la réflexion. Mais non. C’est quelque chose de profond. Une sorte de désespoir métaphysique absolu provoqué par ma plongée dans ce que j’appelle la « piscine de la finitude » ; un monde sans relief, où seuls les bas instincts persistent. Pendant quelques jours, c’est acceptable, même amusant, à vrai dire ; mais très vite, l’angoisse du vide se répand.

P’A – Il semble que ton héros soit plutôt doué pour les études alors, pourquoi d’un seul coup, il est devenu rebelle face au « système » ?
N C : Le personnage principal, Ethan, est un littéraire, quelqu’un d’assez naïf qui croit pouvoir vivre sa vie en poète, détaché des considérations matérielles et viles. Il a lu trop de livres, vu trop de films, dirait-on. Comme son univers est reconstruit par son imaginaire, le quotidien lui apparaît d’abord comme agréable. Jusqu’au moment où, après son intégration, cet imaginaire vole en éclats, pour laisser apparaître le réel, dans sa version la moins ragoûtante : celle de l’appétit égoïste, du cynisme et de l’ignorance. La répugnance que cet environnement inspire au héros n’est autre que celle des comportements intéressés en général, de l’opportunisme comme mode de vie. C’est un peu le parcours initiatique d’un idéaliste qui découvre progressivement la laideur d’un certain monde. Et sa déception va s’avérer d’autant plus grande qu’il réalise petit à petit qu’on ne peut être en dehors du système : on est forcément dedans, interne à lui.

P’A – Même si tu critiques ouvertement les enseignements donnés à HEC, tout en le nommant HIC, tu parles surtout d’aventures sexuelles multiples et étonnantes. Est-ce une façon pour toi de ridiculiser un peu plus cette Haute Ecole ? On en apprend plus sur les relations entre jeunes hommes que sur ce qui se passe réellement à HEC.
N C : Je n’ai pas voulu faire un livre sur HEC, ce serait lui faire trop d’honneur… J’ai plutôt voulu expliquer ce qu’un garçon de ma génération pouvait ressentir en se retrouvant sur un campus isolé tel que celui que je décris. Le ressenti d’Ethan apparaît d’emblée violent, j’ai voulu montrer quelle était sa façon de résister. Le sexe constitue pour lui le dernier point d’ancrage à la vie, la seule méthode, bien qu’appliquée avec exagération, pour résoudre un trauma existentiel. Ce n’est pas en soi une façon de ridiculiser l’école, puisqu’il s’agit d’un instrument effectif de survie. En revanche, cette résistance hystérisée, trashisée, est volontaire : c’est une contre-violence à la hauteur de la violence originelle. D’abord anecdotique – les allusions libidinales émergeant dès les premières pages du livre –, ce comportement lubrique s’intègre ensuite à la critique du capitalisme que j’essaye de faire. En effet, le personnage va créer une véritable junior entreprise, sur le campus, destinée à proposer des services sexuels, puis sera rapidement « corrompu » par l’école qui y verra une source juteuse de profit. Ou l’hommage du vice à la vertu.

P’A – Le héros de ton roman est très intelligent et en même temps complètement piégé par ses pulsions sexuelles. Tu penses réellement que tous les étudiants sont « bouffés » par leurs pulsions ?
N C : Bien sûr que non ! C’est une manière de réagir ; il y en a d’autres, et c’est aussi un acte désespéré à certains égards. Mais l’idée est de réfléchir plus globalement sur les instincts, et sur leurs extrémités connues : la barbarie. Je crois que la souffrance métaphysique, c’est-à-dire la quête existentielle non résolue, fait disparaître la raison pour ne laisser s’exprimer que les passions tristes, dont les pulsions sont une des catégories. Et en creux, je soutiens la thèse selon laquelle la société de marché laisse de moins en moins de place à la légèreté, à la rêverie, à la méditation. Tout doit s’intégrer à une démarche d’efficacité, de maximisation du profit, de minimisation des pertes, c’est usant ! Tellement usant qu’à force, on ne sait plus trop pourquoi on se lève le matin, ni pourquoi on fait des études. La quête de sens n’est pas une question secondaire, c’est celle qui engendre tout le reste. Si elle est prohibée, ou simplement mise de côté, alors l’empire des passions, des affects, ensevelit notre raison d’être. Beaucoup de gens vivants sont déjà morts, métaphysiquement. La fin physique ne sera pour eux qu’une formalité. A moins, bien sûr – et c’est ce que j’appelle de mes vœux – qu’il y ait un sursaut de lucidité. Sortir du camp, c’est la métaphore de ce mouvement, de cette transformation subjective.

P’A – Outre les scènes proprement sexuelles, l’ambiance du roman est assez sombre, pourquoi cette tonalité ?
N C : D’abord parce que j’ai voulu construire une satire, dès lors, il fallait aussi exagérer, grossir certains points pour les faire ressortir encore plus ridicules qu’ils ne le sont – même si plusieurs lecteurs m’ont confié que je n’étais pas allé assez loin ! Au-delà, l’atmosphère que j’ai essayé de créer, en particulier pour les scènes d’orgies, se veut teintée de sadisme. C’était un choix. Il me semble qu’un livre, de la même manière qu’un film, se doit d’être dérangeant. Peut-être même gênant, parfois. Quand j’ai fini un bouquin, je ne veux pas seulement m’être diverti, je veux sentir quelqu’un chose d’obsédant, y compris si cette obsession n’est pas agréable. Il ne s’agit pas de faire l’éloge du mal, ou de la souffrance, mais simplement de dire que certaines questions – comme celle de l’émancipation – supposent un passage par le négatif. Je lisais récemment des critiques qui avaient été faites au moment de la sortie de Fight Club ; certaines étaient terribles. Et pourtant, c’est aujourd’hui un film culte. Même chose pour Sade : presque tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que son œuvre est immense.

P’A – Le héros du livre, dont l’on devine la judéité, se lie d’affection, et même davantage, avec un jeune musulman : est-ce un message de tolérance ?
N C : Je n’aime pas les livres à « message », la littérature offre une interprétation du monde qui se suffit à elle-même, sans qu’il soit nécessaire de la recouvrir d’autre chose. C’est d’ailleurs sa force : au début, je voulais faire un essai, qui aurait repris mes lectures – Badiou, Zizek, Lordon. Mais c’est souvent assez chiant à faire et à lire. Ecrire un roman, c’est enthousiasmant. Je me trompe peut-être, mais j’ai le sentiment que la fiction fournit un matériau à la fois plus souple et plus intense. Dans Le Camp, il y a effectivement un trio qui se forme entre trois garçons, et il se trouve que l’un d’eux est protestant, un autre juif et un dernier musulman. Le thème de la religion n’est qu’effleuré, et c’est bien ainsi. Je préfère celui de la différence culturelle, une différence qui s’offre à l’autre et qui l’accueille. La société mourrait si elle était uniforme. Les apologistes de l’identité m’effraient, tant ils se fabriquent un méta-monde qui n’existe pas, ou plus. La société est comme elle est, c’est-à-dire diverse. Ce qui uniformise, ce qui tribalise, ce qui homogénéise, c’est le marché, pas les communautés. On a tous fait l’expérience de l’altérité, c’est parfois un exercice difficile, mais si chacun surmonte sa méfiance, le résultat peut être étincelant.

P’A – L’histoire telle qu’elle est racontée suggère que l’injustice triomphe toujours : est-ce vraiment le cas ?
N C : Je ne suis ni rousseauiste ni hobbesien, l’homme n’est ni fondamentalement « bon » ni fondamentalement « mauvais ». Il est les deux, à chaque instant. Médiocre et généreux. Généreux et médiocre. Jamais l’un sans l’autre. Il faut prendre l’homme tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il fût, comme le rappelle Frédéric Lordon. A partir de là, on peut parfaitement envisager une trajectoire d’émancipation, personnelle et politique, qui soit pertinente. Je note d’ailleurs que toutes les révolutions, individuelles ou collectives, rencontrent un obstacle exactement à ce moment : soit lorsqu’on oublie les valeurs, les principes qui président à l’action, soit au contraire lorsqu’on maintient les idées à un niveau tellement haut que l’humain n’est plus capable de les servir. L’horizon d’une société franchement différente de la nôtre est donc possible, mais l’un des problèmes, aujourd’hui, c’est qu’on ne sait plus qui est l’ennemi. Le personnage d’Ethan se heurte à ce mur. La partie négative d’une lutte, d’un cheminement existentiel doit passer par une forme de destruction, réelle ou symbolique. Certaines figures nous écrasent et doivent être renversées. Mais encore faut-il savoir contre qui se battre… C’est la grande victoire du capitalisme contemporain, ou de ce qu’on appelle un peu bêtement le « système » : il est omniprésent, et pourtant, on a l’impression qu’il n’existe pas. Il faut ajuster nos lunettes.

Merci Nathan de nous avoir révélé les « dessous  » de ton livre ! Bonne route pour la suite ! Publik’Art laisse le soin à ses lecteurs d’en découvrir plus en lisant Le Camp !

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Le CampDans la meilleure école de commerce de France, un étudiant s’ennuie. Redoublant sa deuxième année, il déplore le conformisme de ses camarades et s’isole du reste du monde. La drogue et la pornographie consument petit à petit ce jeune homme en quête de sens. Mais une rencontre fortuite va bouleverser son quotidien terne. L’enjeu n’est pas seulement d’exister : il faut essayer de vivre, par-delà le bien et le mal. L’acidité de l’auteur, son style percutant nous entraînent sur un terrain dérangeant et magnétique ; son regard sur l’hypocrisie de notre société fait coexister dans ce texte les critiques cyniques, les scènes érotiques et la puissance de l’auto-fiction. Ce livre est une enivrante satire estudiantine et morale.

Date de parution : mai 2016
Auteur : Nathan Comons
Editeur : CreateSpace
Prix : 14,90 € (304 pages)
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NOS NOTES ...
Originalité
Scénario
Qualité de l'écriture
Plaisir de lecture
Bénédicte de Loriol
En fonction depuis 2010, Bénédicte est notre directrice déléguée. Elle partage son expertise en de nombreux domaines. Elle dévore les livres comme d'autres dévorent le chocolat. Responsable des rubriques Littérature et Cinéma, elle gère aussi les opérations concours réalisées avec nos partenaires. Elle est notamment membre de l'Union des Journalistes de Cinéma (UJC).
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