
Des corps à l’œuvre et à l’épreuve dans Boléro / Busk / Strong pour une virtuosité en partage
Le Ballet du Grand Théâtre de Genève est à l’honneur au théâtre du Châtelet avec un triptyque détonnant, alliant les visions singulières de quatre chorégraphes : Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet avec Boléro, Aszure Barton et Sharon Eyal pour Busk et Strong.
Chacune de ces pièces, tout en partageant un même espace scénique, s’affirme avec une identité propre, révélant les multiples facettes de la danse contemporaine et son exploration aussi sensorielle que visuelle.
Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet rompent avec le principe du cercle dans le « Boléro » où les onze interprètes forment sur le plateau une sorte de constellation d’étoiles en perpétuel mouvement qui tournent autour d’elles-mêmes.
Les danseurs, alignés comme des notes sur une portée musicale, se déplacent en une ondulation hypnotique amplifiée par un miroir géant en fond de scène qui dédouble leurs mouvements. La scénographie, inspirée des souvenirs d’enfance de Marina Abramović, mêle images de neige télévisuelle et lumières stroboscopiques, créant une ambiance psychédélique.
Une exigence physique
La répétition, essence même de l’œuvre, devient une danse de l’obsession, où les danseurs s’unissent et se détachent, créant une effusion palpable qui habite chaque mouvement.
La fluidité des gestes, agrémentée de moments de pause, souligne la montée en puissance de la musique, transformant la scène en un véritable crescendo visuel et sensoriel propices aux entrelacs où la frontière entre vie et mort, réalité et illusion, s’estompe.
En contraste, « Busk » d’Aszure Barton nous plonge dans une atmosphère plus instinctive et sauvage.
L’épuisement comme langage
Les mouvements sont organiques, presque primitifs, et évoquent une interaction plurielle entre les danseurs et la musique. Les corps s’élancent, se heurtent et se rencontrent, comme si l’on assistait à une explosion de la vie elle-même et sa connexion humaine. La musique, pulsante et rythmée, propulse les danseurs tous au diapason, dans un tourbillon d’énergie, où chaque interprète s’imprègne du souffle collectif.
Avec « Strong », Sharon Eyal, explore une fois encore le sillon de son langage hypnotique et impressionne d’intensité.
Sous le beat implacable qu’impose le crescendo techno de Ori Lichtik, la chorégraphie développe une danse robotique et impose un quasi rituel tribal où chaque muscle devient une incantation, chaque respiration un mantra.
La chorégraphie, fidèle à l’ADN Eyal – ces saccades mécanisées, ces torsions qui font chavirer le bassin –, joue la carte de la répétition obsessionnelle. Le tout pour une danse à l’unisson impétueuse, nerveuse, et sophistiquée.
On y retrouve le vocabulaire de la chorégraphe : la marche en demi-pointe, fluide et menaçante, les hanches oscillantes telles des pendules folles, les épaules secouées par un spasme intérieur.
Sous haute tension, la danse sculpte chaque impulsion, chaque torsion, chaque contraction. Avec une maîtrise sans failles, les danseurs gainés de noir, portés par une physicalité extrême, accompagnent sans relâche la mécanique du groupe et son ordre bousculé lorsque l’un d’entre eux s’en désolidarise pour un autre trip mental.
Cette alchimie entre rigueur minimaliste et transition organique fait de « Strong » un objet chorégraphique inclassable – ni tout à fait performance, ni tout à fait rituel, mais archipel de corps en état de survie créative. Du grand art !
Dates : du 10 au 13 avril 2025 – Lieu : Théâtre du Châtelet (Paris)
Chorégraphes : Sidi Larbi Cherkaoui / Damien Jalet / Aszure Barton / Sharon Eyal