
« Don Carlos » : les âmes fracturées de Warlikowski
C’est le livret de « Don Carlos » de Verdi dans sa version originale en français, tiré d’une pièce du poète et dramaturge Allemand Friedrich von Schiller, qui est ici présentée et de retour à Paris.
Dramaturgiquement complexe, l’opéra fait cohabiter des scènes intimistes et des tableaux historiques, religieux, où se déploient des personnages aux prises avec leur vérité intime et la raison d’état.
Dans cette production signée Krzyrztof Warlikowski qui revient donc à Bastille, le metteur en scène opte pour une esthétique épurée et symbolique, cristallisant la dimension intimiste et psychologique de l’œuvre.
Une direction d’acteurs/chanteurs immersive et percutante
De cette interrogation sur le pouvoir et la figure du père castratrice qui voit l’objet du désir reconnu que dans la perte ou la castration, Warlikowski avec le geste formaliste et sophistiqué qu’on lui connait, livre une vision shakespearienne de l’œuvre, dominée par l’ambivalence et la complexité psychologique des personnages dont les affres intimes se fracassent contre le masque attaché au rang et au sang.
En France en 1559, puis en Espagne neuf ans plus tard. Élisabeth de Valois, fille d’Henri II de France, est promise à Don Carlos, l’infant d’Espagne, pour réconcilier les deux pays en guerre. Celui-ci étant venu clandestinement à Fontainebleau pour découvrir sa promise, les deux je
Mais la mort de l’épouse du roi Philippe II l’amène à changer ses projets : il décide d’épouser lui-même Elisabeth.
Inconsolable, car aimant toujours celle qui est devenue sa belle-mère, Carlos, neuf ans plus tard, demande à son père, sous l’influence de son ami Rodrigue, marquis de Posa, la permission de gouverner les provinces flamandes soulevées, pour mettre un terme aux horreurs perpétrées par l’armée espagnole. Mais Philippe II, jaloux de la passion qu’il pressent, sans en être certain, entre la reine et son fils, refuse, et demande à Rodrigue, qui a sa confiance, de les surveiller. La rancœur de la princesse Eboli, une suivante d’Élisabeth qui aime Carlos en secret, et découvre que la reine l’a supplantée dans le cœur du jeune prétendant, complique encore la situation.
Des personnages sous haute tension
Pour installer cette galerie de portraits aux destins contrariés et/ou brisés entre complot de l’Inquisition, entrevues secrètes et intrigues politiques, Warlikowski crée avec la décoratrice Małgorzata Szczęśniak, un espace éclaté où les décors, les lumières, la vidéo et les costumes convoquent des images glaçantes ouvertes ou fermées, en projection totale avec ce drame intime, son histoire de violence et son introspection.
Propices au découpage temporel, séquentiel, et à la fragmentation d’un paysage mental aussi tourmenté que traumatique, les scènes s’opèrent à partir du regard subjectif de Don Carlos qui voit se remémorer l’épopée de cette tragédie familiale hantée par ses enjeux, ses fantômes et ses illusions perdues.
L’opéra est marqué par une noirceur omniprésente : Carlos fait figure d’un antihéros suicidaire, incapable de rébellion ou d’action décisive. Les personnages semblent écrasés par leurs propres tourments et par la mécanique implacable du pouvoir religieux incarné par un Grand Inquisiteur mafieux.
Warlikowski met en lumière la violence psychologique et existentielle qui traverse l’œuvre, à l’abri d’une tension intérieure palpable qui brûle les protagonistes. La tension culmine lors de la scène finale entre Élisabeth et Carlos, où la tristesse déchirante est sublimée par un duo de haut vol.
Le plateau vocal est ici dominé par Ekaterina Gubanova qui campe une princesse Eboli aussi impétueuse que perverse à l’amplitude vocale intense, multipliant les registres, tandis que Christian Van Horn dans le rôle de Philippe II, incarne un souverain autoritaire et tourmenté dont le timbre parfaitement maîtrisé, restitue toute l’ambivalence du personnage. Marina Rebeka s’impose dans le rôle d’Élisabeth avec une puissance émotive rare et subtile.
Le tout emmené par la trame musicale passionnée du chef d’œuvre de Verdi qui exacerbe les actes manqués, la passion dévastée, la peur ou la haine mortifère, sous la direction parfaitement calibrée de Simone Young qui épouse la vision de Warlikowski.
Dates : du 29 mars au 25 avril 2025 – Lieu : Opéra Bastille (Paris)
Mise en scène : Krzyrztof Warlikowski