Un Dunkerque échoué entre deux eaux
Le nom de Christopher Nolan est devenu au fil des films synonyme d’ambition cinématographique maximale et de qualité technique exemplaire. Avec une filmographie déjà composée de quelques futurs classiques, le réalisateur de seulement 47 ans a d’ores et déjà marqué l’histoire du cinéma. Alors quand un film narrant l’évacuation des troupes anglaises de la poche de Dunkerque en juin 1940 est annoncé à grands renforts publicitaires, on se plait à imaginer un film de guerre inédit, révolutionnaire et renversant. Sauf que le film pêche par de trop nombreuses lacunes pour un réalisateur de cette envergure. La joie collective est actuellement trop assourdissante pour faire entendre un son de cloche discordant, mais une fois le soufflé retombé, la raison reprendra le dessus. Dunkerque est un très bon film, excellent même à certains titres mais non, il ne révolutionne pas le genre. Le Soldat Ryan a encore de beaux jours devant lui…
Un sujet inattendu
Loin des standards guerriers habituels, Dunkerque n’enchaine ni les batailles homériques ni les échanges de tirs incessants. De combats, il n’en est (presque) pas question tant Christopher Nolan préfère s’intéresser d’abord aux hommes piégés sur une plage à l’extrême nord de la France suite à l’irrésistible offensive allemande de mai-juin 1940. Avant de parler cinéma, parlons histoire. Car les férus se souviendront que la drôle de guerre débuta timidement avant une subite accélération suite à l’invasion des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg puis de la France par les troupes allemandes à partir du 10 mai 1940. Une cuisante débâcle suivit avec son lot de drames tant l’envahisseur revêtait une supériorité matérielle (équipements plus modernes avec des armes lourdes, des canons et chars en plus grand nombre, parc aérien sans comparaison), tactique (réutilisation du même passage qu’en 1914 via la Belgique pour prendre à revers l’armée française) et militaire sans égal. La doctrine défensive promue par les français et les britanniques ne put rien contre le rouleau compresseur nazi (la fameux blitzkrieg). Et quand les troupes alliées du Nord furent coupées de celles du Sud et acculées à la mer, les soldats se retrouvèrent bloqués dans la fameuse poche de Dunkerque. Bien plus éloignée des côtes anglaises que ne l’est Calais, la ville posa un défi logistique majeur. Car près de 400 000 hommes se tassèrent entre les troupes allemandes et la Manche sans qu’un nombre suffisant de bateaux ne puisse approcher suffisamment près des côtes du fait de la faible déclivité des plages obligeant les navires de fort tonnage à mouiller au large. Les chiffres de l’évènement donnent le vertige: 370 petites embarcations vinrent chercher 26 500 hommes. Avec un premier fait majeur que le film relativise (à tort). Moins de 10% des 338 226 combattants furent finalement évacués de manière civile. Et on touche au problème principal posé par le film de Nolan. Le désastre n’est abordé que par le petit bout de la lorgnette via 3 histoires racontées en parallèle alors que les plans larges se multiplient pour élargir au maximum la portée du film. Le choix d’une narration parcellaire amoindrit d’autant la portée des évènements même si le drame humain prend sa pleine mesure.
Un problème de proportion
Les 3 histoires permettent de mettre en relief la panique généralisée de troupes piégées sur une plage ouverte aux attaques incessantes d’un ennemi invisible. Un soldat sur la plage (Fionn Whitehead) cherche à évacuer dans le tumulte ambiant, un pilote de la RAF (Tom Hardy) veut rallier les côtes françaises pour défendre l’embarquement de troupes bombardées par les avions ennemis et un marin chevronné (Mark Rylance) conduit depuis l’Angleterre sa petite embarcation pour participer à l’évacuation des troupes. Et c’est là que le bas blesse. Car le film de Nolan est loin d’être aussi réaliste qu’attendu si on se donne la peine de se documenter sur la vraie histoire. Le 29 mai par exemple, 400 bombardiers allemands, protégés par 180 Messerschmitt ont méthodiquement pilonné Dunkerque. Or, le film montre au maximum 10 avions, allemands et britanniques confondus pendant 1h47 d’intrigues. Pareillement, les longues plages de Dunkerque semblent montrer au maximum 10 000 hommes au lieu des 400 000 historiquement comptabilisés. En incluant 3 histoires dans un contexte plus global réduit à sa portion congrue, Nolan fait chuter le coefficient réalisme d’autant en cherchant pourtant à englober la totalité des évènements. Ce qu’il ne fait que de manière forcément lacunaire. Et comme il choisit souvent un ton très proche du documentaire, il coupe son film de toute crédibilité. Sans compter les quelques maladresses comme ces bâtiments en front de mer montrés en début de film au style furieusement seventies. Mais là où le film se révèle finalement maladroit sur le plan historique, il fait mouche sur le plan humain.
Une histoire d’hommes
Nolan multiplie les épisodes tragiques pour un effet boeuf sur le spectateur. Les plus claustrophobes se sentiront même physiquement mal devant tous ces soldats piégés dans les entrailles de navires coulés par le fond. L’héroïsme côtoie la faiblesse humaine dans une noria de scènes dramatiques qui clouent au siège. Dunkerque devient ainsi plus un film d’horreur qu’un film de guerre, les innombrables pertes humaines font beaucoup plus d’effet que tous les serial killers ciné du monde. Car la guerre n’est pas une plaisanterie, c’est même le meilleur moyen d’occire des dizaines de vie humaines en quelques minutes. Les plans resserrés en intérieur, dans les entrailles des bateaux ou la cabine d’un spitfire, font beaucoup plus d’effet que les larges panoramas sur les plages. Les fumées ont beau figurer les furieux combats menés par les troupes françaises contre les attaques allemandes terrestres pour laisser le temps aux troupes d’embarquer, ce fait majeur de la bataille de Dunkerque devient un micro détail. A tort.
Une tension permanente
Si le film parvient à rester tendu tout du long, l’omniprésente musique d’Hans Zimmer n’y est pas pour rien. Un décompte de chronomètre semble s’ajouter aux notes pour figurer l’inéluctabilité d’une course contre la montre mortelle. Au contraire d’Interstellar, aucun air ne reste ancré dans la tête après la séance mais une impression générale d’efficacité dramatique se dégage. Et comme le film débute un peu comme un film muet, sans que beaucoup de dialogues ne marquent le spectateur, la musique joue un rôle prédominant. Ajoutée aux bruits de moteur d’avion ou de bateau, ainsi qu’au bruit de la tôle qui se déchire sous l’impact des bombes, elle marque le spectateur. Les visages tendus des acteurs font également forte impression sans qu’aucun pourtant ne soit spécialement impressionnant. Tom Hardy passe 99% de son temps sous son attirail dans le cockpit, Mark Rylance regarde la mer en silence entre deux répliques définitives et le soldat Fionn Whitehead semble aussi perdu que ses milliers de compatriotes. Quant à Kenneth Branagh, il fait un peu tapisserie sur son bout de ponton. Car il ne peut rien, subit les évènements et se contente un peu trop de froncer les sourcils.
Un pétard mouillé?
Ne nous y trompons pas, ce Dunkerque mérite vraiment un visionnage pour éprouver le stress du soldat confronté au risque de mort imminente. Le sentiment d’abandon de troupes envoyées à la boucherie et oubliées sur un bout de plage est palpable, scandaleux même. Mais par trop romancé car, dans la vraie, la majorité des troupes a été sauvée, par la grâce d’un cessez-le-feu miraculeux dont les raisons sont aujourd’hui encore mal connues. Le patriotisme exacerbé de la fin du film paraitra à beaucoup d’un angélisme excessif, il est pourtant le reflet d’une vérité historique, les soldats s’attendaient à une opprobre collective mais furent accueillis comme des héros. Reste aussi du film une métaphore ainsi qu’une critique assez saignante du capitalisme, les simples soldats se trouvant dans l’oeil du cyclone sans comprendre ce qu’il leur arrive. Si le film insiste un peu trop sur un élan de solidarité mal proportionné (plus de bateaux en vrai mais une proportion négligeable de soldats recueillis), c’est à se demander si le chauvinisme britannique n’est pas de retour.
Dunkerque offre un spectacle avant tout dramatique. Les bateaux qui coulent serreront le coeur de tous les spectateurs. Mais le film n’est vraisemblablement pas à la hauteur des enjeux. Forcément imparfait avec un gout d’inachevé dans la bouche.
Le récit de la fameuse évacuation des troupes alliées de Dunkerque en mai 1940.
Sortie : le 19 juillet 2017
Durée : 1h47
Réalisateur : Christopher Nolan
Avec : Fionn Whitehead, Tom Hardy, Mark Rylance
Genre : Guerre