Du 10 mai au 22 juin 2014.
MONUMENTA 2014 – L’Etrange cité – Ilya et Emilia KABAKOV – Grand palais
Les Russes ont toujours été précurseurs en matière d’explosifs, de Molotov à Kalachnikov. Cette année, c’est notre rapport aux cités utopiques que les deux artistes russes Ilya et Emilia Kabakov ont décidé de dynamiter. Après l’Ile Utopia de Thomas More, L‘abbaye de Thélème de François Rabelais, le Phalanstère de Charles Fourier ou encore les projets utopiques de Rodchenko et Melnikov, il ne vous tarde de découvrir l’Etrange cité. Le concept d’art contemporain Monumenta revient pour sa septième édition dans la Nef du Grand Palais à Paris. Depuis 2007, des artistes internationaux ont exposé leurs œuvres : Anselm Kiefer, Richard Serra, Christian Boltanski, Anish Kapoor et Daniel Buren. Cette année avec un labyrinthe grandeur nature composé de salles hétéroclites, les artistes Kabakov donnent à réfléchir sur la condition humaine ou encore les progrès scientifiques destructeurs de l’homme. Alternative au monde d’aujourd’hui, critique du matérialisme ou encore du régime autoritaire russe, l’installation, composée de sept salles aux projets différents mais dont les thèmes se rejoignent, se focalise sur la spiritualité.
Un haut mur blanc, voilà ce à quoi l’on peut s’attendre à l’entrée. Il s’agit de longer les courbes de cet œuf blanc géant couvert par la verrière pour enfin apercevoir une gigantesque coupole. Cette coupole dont les couleurs sont changeantes, s’apparente à la complexité des vitraux ecclésiastiques. Cette installation constitue, au delà du projet, une véritable expérience pour le spectateur. Une musique de l’artiste russe Alexandre Scribine nous porte dans une osmose apaisante. La synesthésie s’opère. On se sent happé par le point central du dôme comme-ci allait s’ouvrir à nous un passage vers un autre monde : une cité « blanche ».
Un vestige antique fait office d’entrée dans la cité. La lumière étincelante et la blancheur clinique des murs éblouissent et donnent presque mal au crâne. Tout se ressemble et il paraît plutôt aisé de se perdre.
Au sein des sept salles toutes plus différentes les unes que les autres, la plus surprenante est sûrement celle du Centre de l’énergie cosmique. Il aurait existé une ville au nord du Tibet appelée Manas entourée de huit montagnes. Elle se déployait sur deux niveaux : le premier est celui de la vie quotidienne et le second est celui du monde supérieur soit le céleste. Cette ville pouvait grâce au Centre de l’énergie cosmique communiquer avec des mondes lointains et notamment la noosphère qui, selon la théorie du chimiste russe Vladimir Vernadsky, constitue une couche autour de la Terre rassemblant l’ensemble des pensées et consciences de l’humanité.
Dans la pièce, maquettes et dessins d’étranges mécanismes, laboratoires, antennes, réservoirs véhiculent une atmosphère scientifique. La précision des croquis et descriptions des instruments pourraient donner lieu à un questionnement de la part du spectateur quant à la véracité de ce Centre de l’énergie cosmique. Cet aspect s’apparente aux projets du photographe contemporain espagnol Joan Fontcuberta qui use de manipulation afin d’entraîner le spectateur dans une réalité insolite. Cette salle attribue aux Kabakov une imagination débordante et un talent de narrateur univoque. Il ne faut pas oublier qu’Ilya a créé de nombreux albums fictifs et s’est affirmé comme un excellent illustrateur.
Cependant, quand on sait que le projet de Monumenta réside dans l’exploitation des 13 500 m2 de la Nef on est un peu déçu de s’enfermer dans des pièces semi-obscures étroites et étouffantes quand bien même cela fasse partie du projet.
Les moyens de communication qui s’articulent par un centre, des portails, des tableaux dans les autres salles, sont au cœur de la démarche des Kabakov et semblent être les moyens d’améliorer la condition de l’homme.
C’est ainsi que le cocktail Kabakov s’embrase, on admire le génie d’une œuvre capable d’enflammer les passions.