“Festen” orchestré d’une main de maître entre théâtre et cinéma par Cyril Teste, de retour à Paris
En 1995, Thomas Vinterberg et Lars von Trier proclamaient le manifeste du Dogme95. En réaction à ce qu’ils considéraient comme une utilisation abusive d’effets spéciaux dans les productions américaines et anglo-saxonnes, ils décidaient d’imposer la force des images en prise directe avec le réel, en même temps qu’une certaine sobriété formelle. En pratique, cela signifiait : un tournage caméra au poing, sans éclairage, dans un décor existant, l’action se déroulant sans filtre dans l’ici et maintenant.
“Festen”, le film culte de cette nouvelle vague danoise, sert aujourd’hui de point de départ à la pièce de Cyril Teste qui convoque théâtre et cinéma, dans un geste aussi inspiré que maîtrisé.
Grammaire sophistiquée entre jeu sur scène et projection vidéo
A l’abri d’une grammaire sophistiquée entre jeu sur scène et projection vidéo : tournée, montée, mixée et réalisée en temps réel, diffusée en simultanée sur le plateau, mais laissant voir également, grâce à une caméra, les coulisses et les hors-champs, l’écriture singulière de Cyril Teste s’impose désormais comme un espace manifeste de réinvention de ces deux pôles d’expression filmique et théâtral.
Un procédé nullement artificiel mais qui fait partie intégrante de la dramaturgie, cristallisant l’envers du miroir entre espace réel et vidéo qui restitue le hors-champ avec sa lecture introspective et mémorielle.
On se souvient du film choc de Vinterberg et cette soirée festive qui tourne au cauchemar. On y assiste à la confrontation explosive d’un rituel (la célébration d’un anniversaire) et de sa rupture (la dénonciation par l’un des fils des crimes de son père qui a abusé de lui et de sa sœur jumelle qui s’est suicidée).
L’effet de réalité ainsi produit est sidérant : au-delà de l’inceste paternel, c’est la complicité tacite de tout un clan, d’abord familial, puis sociétal qui se révèle. De l’omerta au racisme insidieux en passant par la domination de classe et le nationalisme exacerbé, “Festen” pulvérise un à un les tabous familiaux.
Drame shakespearien
Cyril Teste y voit une lecture contemporaine d’Hamlet où le héros veut rétablir la vérité et, comme dans la tragédie, c’est un fantôme qui vient le chercher – ici, celui de sa sœur.
Telle une Ophélie échouée dans les limbes, elle laisse derrière elle une lettre dont le récit nous éclaire sur son impossibilité à continuer dans ce monde. Son frère vient alors révéler cette trahison à sa famille pour permettre à sa sœur disparue de pouvoir libérer son âme.
C’est la confrontation aussi de deux versions propice à toute une dramaturgie entre le récit du fils et la réplique du père qu’exploite en creux le metteur en scène.
Autour de la grande table somptueusement dressée, dans le salon huppé ou dans les autres pièces de la maison dont le décor en mouvement multiplie les angles et les points de vue à l’instar de miroirs sans tain, l’œil de la caméra permet d’ausculter avec des plans grossissants et des travelling, l’intimité la plus crue de cette famille débordée par sa mémoire.
Et tandis que le silence se brise, que les haines profondes surgissent, la vérité advient au cœur de la fête devenue un enfer.
Où Christian (le fils), avec ses armes, fait comme Hamlet qui met en scène Le Meurtre de Gonzague. Il dynamite peu à peu la mémoire de Helge (le père) en s’adressant à un auditoire toujours plus large : la famille, les invités, le public.
Et sous les coups de boutoirs des révélations qui jaillissent et éclaboussent en cascade les convives, cet Hamlet devient un héros, d’abord maladroit puis porté par les autres, il les rallie à cette parole libérée et enfin entendue.
Les quinze comédiens du Collectif MxM sont formidables de naturel. Emmenés par Mathias Labelle qui joue Christian, au jeu hypnotique et intense, habité corps et âme par cette croisade sans retour tandis qu’Hervé Blanc, dans le rôle du père à l’attitude stoïque et interdite, se montre saisissant d’impuissance refoulée.
Dates : du 16 au 19 juillet 2019 – Lieu : Centquatre (Paris)
Metteur en scène : Cyril Teste