« Figures in Extinction » : le choc crépusculaire de Crystal Pite et Simon McBurney

« Figures in Extinction » : le choc crépusculaire de Crystal Pite et Simon McBurney
Les danseurs du Nederlands Dans Theater – Photo Rahi Rezvani

« Figures in Extinction » : le choc crépusculaire de Crystal Pite et Simon McBurney

Entre danse et théâtre, la chorégraphe canadienne Crystal Pite et le metteur en scène britannique Simon McBurney signent une œuvre puissante et fébrile : « Figures in Extinction ». Une trilogie sur la disparition du vivant, interprétée par les danseurs du Nederlands Dans Theater, où la beauté se fait mémoire et le geste, acte de résistance.

La voix rocailleuse de Simon McBurney égrène la litanie des absents : oiseaux effacés, glaciers fondus, forêts disparues. Sur scène, les danseurs du NDT s’animent dans une lumière rasante, entre spasmes et suspensions. Crystal Pite ne cherche pas ici à représenter la nature perdue : elle en invoque la trace. Chaque geste devient un vestige, une empreinte dans le vide.

Avec « Figures in Extinction [1.0] », la danse se fait archéologie du vivant. Les corps s’enroulent, se plient, se redressent — gestes tendus d’un monde qui s’éteint mais persiste encore à respirer. La scénographie, dépouillée, n’a besoin de rien d’autre que de ces présences fragiles pour dire le deuil et l’urgence qui culmine.

Requiem d’une humanité fragile

Crystal Pite, fidèle à son écriture ample et ciselée, travaille sur les tensions du corps : contraction, relâchement, déséquilibre. Chaque geste semble animé par une mémoire antérieure, comme si la danse devenait le dernier refuge du vivant. Ce premier mouvement, d’une grande clarté formelle, allie la rigueur scientifique du constat à la poésie du rituel.

La force de « Figures in Extinction » réside dans la construction chorégraphique que Crystal Pite déploie avec une rigueur d’architecte et une sensibilité presque organique. Son vocabulaire, reconnaissable entre tous, repose sur une science du groupe : les danseurs du Nederlands Dans Theater ne forment pas une simple addition d’individus, mais un corps unique, mouvant, traversé de flux et de résistances.

Pite joue sur des dynamiques de densité et de dispersion : les corps s’agrègent en masses compactes, puis se désarticulent en éclats isolés, dessinant dans l’espace une respiration commune — une pulsation du vivant. Les transitions, d’une fluidité redoutable, alternent vitesse et suspension, chaos et exactitude. Chaque geste est articulé avec une précision chorale, presque mathématique, mais sans jamais perdre son humanité.

Les motifs récurrents — torsions d’épaules, portés suspendus, déséquilibres répétés — traduisent cette tension entre contrôle et effondrement qui traverse toute l’œuvre. Chez elle, la virtuosité ne sert jamais la démonstration : elle révèle la vulnérabilité du corps comme mémoire du monde. Ainsi, dans cette pièce, la danse devient une forme d’intelligence sensible, une écriture du collectif en tant qu’écosystème.

La deuxième partie, « But Then You Come to the Humans », bascule vers la parole. McBurney s’empare de la scène avec son goût du verbe et de la complexité : inspiré du neuroscientifique Iain McGilchrist, le texte questionne la fracture entre nos deux hémisphères — entre raison et intuition, domination et attention. Les danseurs, absorbés par leurs téléphones, rejouent le désordre d’un monde saturé de signes.

La danse se fait fragmentée, traversée d’interruptions et de gestes nerveux. La confusion est voulue, presque ironique : c’est le miroir sans fard de notre époque — brillante, bavarde, débordée d’elle-même.

« Requiem », la dernière partie, est une méditation chorégraphique sur la mort, le deuil, la continuité entre les vivants et les disparus. Le plateau évoque un service d’hôpital : un lit, un corps qu’on veille. La mort comme un écho intime, mais aussi collectif.

Sous la lumière sensible de Tom Visser, les danseurs se rassemblent, se soutiennent, se portent. Mozart et Fauré glissent entre leurs souffles ; la virtuosité s’efface devant la tendresse du geste. Ce moment suspendu clôt la trilogie dans une sobriété bouleversante. Plus de discours, plus d’alerte : seulement une humanité nue, au seuil.

« Figures in Extinction » n’est pas une œuvre militante. C’est un acte de lucidité, où la beauté ne cherche ni à consoler ni à sauver, mais à regarder le monde en face. Les danseurs du NDT, d’une précision souveraine, incarnent cette tension entre force et fragilité. Ils font du corps un territoire de résistance, une archive du vivant.

Dans un monde saturé de discours, « Figures in Extinction » choisit le silence fécond. Un silence vibrant, obstiné, celui d’un art qui ne promet rien, mais qui continue à témoigner. Crystal Pite et Simon McBurney signent ici une œuvre essentielle à l’abri d’un geste dansé à la perfection aussi percutante que prégnante.

 Dates : du 22 au 30 octobre 2025 – Lieu : Théâtre de la Ville (Paris)
Création : Crystal Pite et Simon McBurney

NOS NOTES ...
Originalité
Chorégraphie
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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