« Godot », sous le magie d’Alain Françon
« En attendant Godot » de Samuel Beckett est un texte fondateur mettant en scène la tragédie de l’existence et la déraison du monde dans laquelle l’humanité se perd. Absurdité donc de la condition humaine où attendre Godot c’est espérer que cela va changer alors que cet espoir est vain.
Deux hommes sont seuls au milieu de nulle part à la tombée de la nuit et attendent quelqu’un, Godot. Cet homme providentiel — qui ne viendra jamais — leur a promis qu’il serait au rendez-vous. En l’attendant, les deux amis tentent de trouver des occupations, des « distractions », des diversions pour combler le vide et cette interminable attente. Ils sont à l’affût du moindre divertissement et leur dialogue est traversé de quiproquos, d’incompréhensions, d’insignifiance, de faux espoirs, sans cesse répétés et renouvelés.
Une poésie facétieuse
Les deux personnages rappellent les couples interdépendants célèbres comme Sganarelle et Don Juan ou Don Quichotte et Sancho Panza ou encore Alex et Zavatta, Laurel et Hardy mais aussi une forme de dualité : le père, le fils, l’esprit, le corps.
L’incarnation des deux vagabonds par André Marcon (Estragon) et Gilles Privat (Vladimir) est un coup de maître. Ils sont magnifiques de cocasserie et de complicité, d’intensité et de tendresse mêlées, avec cette capacité rare d’inscrire leur jeu dans une immédiateté et une poésie facétieuse qui font entendre comme jamais les mots de Beckett et cette humanité confisquée, confrontée à une errance et à une perdition de l’être source d’une solitude infinie, que le dramaturge se plait à souligner d’un art du décalage et d’une flamboyance funeste qui n’appartiennent qu’à lui.
Un magicien de la scène
Hérésie d’un monde irréconciliable qui voit se rencontrer nos deux éclopés et ce couple maître-esclave interprété par Guillaume Lévêque (Pozzo, le maître), Eric Berger (Lucky l’esclave) et Antoine Heuillet (le garçon) où se mettent à jour les rapports de force et la mise en abîme de toutes les détresses humaines, à la fois victimes et bourreaux.
Alain Françon est un magicien de la scène. Sa direction d’acteurs, sa précision de tous les instants, son imaginaire au service du texte, assorti d’une gestuelle clownesque et céleste des comédiens, mobilisent complètement le spectateur, propice à un questionnement en profondeur sur la condition humaine, sa destinée à la fois tragique et burlesque. Du grand art. Bravo !
Dates : 3 février au 8 avril 2023 – Lieu : La Scala (Paris)
Mise en scène : Alain Françon