« Heimweh », l’ovni théâtral au pays des edelweiss
Ce spectacle, ovni théâtral par excellence, nous offre une critique grinçante et drôle d’un petit pays neutre, la Suisse. Et plus largement d’une société où la posture et le consensus anesthésient les êtres, ne laissant plus aucune place aux aspérités ni au moindre débordement impulsif et vital, si propre à la vie et à sa désobéissance. Réjouissant !
Le metteur en scène Gabriel Sparti témoigne avec cet opus, des rapports ambigus et complexes qu’il entretient avec son pays natal et sa société polissée par le consensus et l’illusoire perfection.
Tout commence dans le noir et une sensation de vide oppressante, avant qu’un personnage dissertant au près d’un lac, ne se retrouve face à trois êtres improbables. Aucun d’eux n’élève jamais la voix ni ne proteste, enchaînant les banalités dans leur conversation pour éviter toute forme d’engagement.
Bienvenue en absurdie
Le fil narratif se tisse sur des esquisses d’actes ou de discours empêchés. Car rien n’advient jamais chez ces personnages mal à l’aise, anglués dans leur insignifiance, et qui, par cet embarras compulsif, bousculent leur raison d’être et inquiètent l’Étranger comme les spectateurs. Un degré de platitude poussé à son comble qui intrigue et fait naître chez le spectateur, un état de concentration et d’attente aux prises entre le désir obsédant d’en apprendre plus et la déception constante face à eux qui n’ont rien à dire ou à partager. Des êtres inatteignables littéralement sclérosés par le conformisme social et une inaptitude à être.
Sur le plateau, l’auto-censure et le désir de consensus sont portés à leur paroxysme dans un décor d’une extrême simplicité et un étirement de la représentation. Un procédé dramaturgique propice à un état de tension chez le spectateur, sciemment entretenu par les figures qui sont au centre du processus : celles-ci jouant et déjouant l’attente nerveuse d’un aveu, d’une prise de parole substantielle. Par leurs diversions insignifiantes et feutrées, elles s’échappent perpétuellement dans un immobilisme verbal et gestuel confondant et déstabilisant.
Ce jeu trop petit, contraint, noyé par un trop-plein de douceur et de politesse insuffle un comique de crispation transformant lentement, à l’usure, les rires en frustration. D’une efficacité redoutable, le public intègre tant bien que mal l’inéluctabilité de la situation et sa dérision mortifère.
Mené par un quatuor d’interprètes au diapason : Donatienne Amann, Karim Daher, Alain Ghiringhelli et Orell Pernot-Borràs, cette traversée est un brûlot aussi singulier que régénérant à l’anéantissement subversif qui frappe nos sociétés contemporaines si soucieuses de préserver le politiquement correct et la pensée unique.
Dates : du 13 au 24 janvier 2025 – Lieu : Théâtre de la Bastille (Paris)
Mise en scène : Gabriel Sparti