Intégrale de Ravel au piano par Bertrand Chamayou au Théâtre des Champs Elysées (75)
Haut lieu des concerts pianistiques parisiens, le Théâtre des Champs Elysées (TCE) accueillait Bertrand Chamayou le mardi 19 janvier pour un marathon Ravel. Trois heures consacrées au grand compositeur français, de quoi réviser ses classiques et apprécier le toucher tout en délicatesse d’un des plus grands représentants actuels du piano français. Le plaisir ressenti fut à la hauteur de l’enjeu de la soirée, vertigineux.
Le TCE, son style monumental furieusement Art Déco et sa légende. Les plus grands chefs d’orchestre y ont officié et les sifflets accueillant la représentation du Sacre du Printemps de Stravinsky en 1913 semble encore résonner et hanter les lieux. Sa renommée internationale attire les plus grands pianistes actuels pour des récitals à coup sûrs magiques. Pour cette saison 2015/2016, Gregory Sokolov et Christian Zacharias ont enchanté le public de leur technique parfaite. Nikolaï Lugansky et Lang Lang sont attendus prochainement. Boris Berezovky et Alexandre Tharaud sont des habitués. Je ne parle que des pianistes déjà cérémonieusement écoutés au TCE, salle ancrée dans le parcours international de stars du clavier qui gratifient bien souvent la ville lumière d’une seule et unique représentation. Les places s’arrachent dès leur mise en vente au tout début juillet de chaque année. Les prévoyants font leur budget et récoltent tous leurs précieux sésames d’un coup afin de ne rater aucun spectacle. Porte étendard de l’art pianistique parisien, le TCE n’a guère plus de concurrence depuis l’arrêt des concerts classiques à la Salle Pleyel. Raison de plus pour s’y rendre afin d’admirer les solistes renommés qui s’y produisent.
Parmi les pianistes français mondialement applaudis, Bertrand Chamayou bénéficie d’une notoriété grandissante. Lauréat en 2006 des Victoires de la musique classique dans la catégorie « révélation soliste instrumental de l’année« , il ne cesse de se produire en soliste ou accompagné pour finalement remporter le prix « meilleur soliste instrumental de l’année » en 2011. Une sorte de consécration pour ce musicien fortement imprégné de l’oeuvre des compositeurs romantiques. Connu et reconnu pour ses enregistrements de Franz Liszt, Franz Schubert et Mendelssohn, le pianiste s’attaque maintenant au monument français de la musique classique Maurice Ravel. Universellement connu pour un célèbrissime Boléro qui fait la joie des musiques d’ascenseur et des publicités télévisuelles, Ravel était avant tout un compositeur pour piano.
[U]n des évènements musicaux parisiens majeurs de la saison (…)
L’influence de la musique pour piano de Ravel sur la musique contemporaine est incontestable. Au même titre que son concurrent mais néanmoins confrère Debussy, Ravel a ouvert la musique classique à d’autres horizons. La liberté de ses compositions, ses ruptures rythmiques et la technique extrême de ses arrangements en ont fait un orfèvre du son au succès éblouissant de son vivant. En explorant de nouvelles contrées pianistiques, Ravel a poussé la perfection formelle de son oeuvre au delà des frontières antérieures. Il suffit d’écouter des compositeurs avant et après Ravel pour comprendre son influence sur la composition musicale toute entière. Preuve ultime, la musique de Ravel apparait régulièrement dans les productions cinématographiques. Une scène de danse dans The Dark Knight Rises avec la « Pavane pour une infante défunte » (There’s a storm coming, mister Wayne), cette même Pavane au détour d’un couloir dans le théâtre de Birdman, le Boléro dans Les uns et les autres de Lelouch, Ravel est partout au cinéma.
En se frottant à Ravel pendant pas moins de 3 heures et 2 entractes, Bertrand Chamayou créée pas moins qu’un des évènements musicaux parisiens majeurs de la saison. Et dès les premières notes de Jeux d’eau, le public comprend que le temps va se rétrécir et passer dans un souffle. Le rythme dansant et sautillant imprimé par le pianiste fait virevolter les notes de Ravel. La technique est parfaite, le toucher est alternativement léger et grave, le son n’est pas uniforme et suit une douce mélodie interprétée avec maestria. La Pavane suit un rythme inhabituel et quasi inédit. Régulièrement interprétée avec une langueur extrême, Bertrand Chamayou lui imprime un rythme plus enlevé et marqué par des accords de fin de parties puissants et même nerveux. Habitué à me prélasser dans les silences entre les notes, je m’en trouve privé et monte dans le train de la locomotive Chamayou. Inhabituelle mais non pas désagréable, cette interprétation atypique accentue la singularité du pianiste par rapport à ses contemporains.
La première partie du concert se clôt avec des Miroirs oniriques qui font s’envoler des spectateurs magnétisés par l’extrême précision de Bertrand Chamayou. Il semble s’amuser avec les envolées lyriques finales du morceau. Les applaudissements qui clôturent le premier volet sont à la hauteur de la prestation. Après quelques pas bienvenus pour se dégourdir des jambes comprimées dans le minuscule espace alloué par la très dense salle de concert, le récital reprend avec une composition de piano que j’affectionne particulièrement. Le Menuet Antique ravit mon ouïe par son interprétation puissante et sensible à la fois. Bertrand Chamayou maintient un rythme musclé mais pas pressé. Les notes sont délicatement détachées, pas de bouillie sonore, c’est clair et limpide. Je fonds. La Sonatine me ravit également, elle si souvent entendue à domicile sous les doigts de fée de ma collaboratrice pianiste. Chamayou imprime là aussi un rythme à la fois vigoureux et délié. La seconde partie se finit avec un Gaspard de la nuit d’abord profond puis aux sonorités jazzy que Ravel n’aurait pas reniées.
Le second entracte voit quelques spectateurs quitter la salle. Plus de 2 heures sont passées, les moins endurants crient grâce et préfèrent retrouver le froid polaire des rues parisiennes. Des Valses nobles et sentimentales enlevées accueillent le troisième volet du concert conclu par un Tombeau de Couperin étincelant. Un tonnerre d’applaudissement final accueille les dernières notes, c’est la folie dans la salle. Bertrand Chamayou a fait honneur aux lieux et à ses glorieux ainés. Il s’inscrit nettement parmi les pianistes majeurs de notre époque. Plusieurs concerts sont prévus en France en 2016, vous les trouverez dans le lien ci-dessous. L’occasion de vous rendre compte par vous mêmes de la finesse de son toucher et de l’élégance de son jeu.. Pianiste jamais encore entendu en live, Bertrand Chamayou m’a conquis et nul doute que je le reverrai prochainement pour d’autres grands moments pianistiques!
Pour finir et pour information, Nikolaï Lugansky et Lang Lang se produisent prochainement au TCE. Le premier est mon pianiste préféré de tout l’univers et le second m’avait très agréablement surpris en 2015 par l’allégresse communicative de sa prestation. Le Saint Petersbourg Ballet Theatre vient également nous rendre visite les 24 et 25 février prochains pour un Lac des Cygnes que j’attends émouvant. Pour les avoir vus en 2015 dans le Roméo et Juliette de Prokofiev, je ne peux que les recommander. A vos réservations!
Date du concert : 19 janvier 2016 l Lieu : Au Théâtre des Champs Elysées (Paris)
Agenda : Prochains concerts de Bertrand Chamayou en France