Yórgos Lánthimos se livre à un festival dans un nouveau film pervers à souhait
Après The Lobster et Mise à mort du Cerf Sacré, le réalisateur grec Yorgos Lanthimos creuse le sillon d’un cinéma aussi rêche que passionnant tout en ajoutant de nombreuses cordes à son arc. Le trouble suscité par des personnages en représentation permanente s’accompagne d’effets visuels qui soulignent la duplicité et la flagornerie de marionnettes perpétuellement manipulées ou dans la manipulation. Le film est un beau jeu de massacre, aux ressorts psychologiques qui confinent à la pathologie psychiatrique. Le parallèle avec notre époque semble assez évident tant les tirs dans les pattes s’accompagnent d’un mépris de classe tout à fait adapté à ce début de XXIe siècle.
Un triomphe annoncé aux Oscars?
Les années récentes ont fait la part belle aux films plus artistiques que divertissants, quitte à être moins accessibles mais plus exigeants. Dans cette optique, La Favorite fait office de favori, dans la lignée des illustres Birdman, 12 years a slave ou Argo. Le film se suit comme un roman psychologique mâtiné de thriller. Au début du XVIIIe siècle, la reine Anne d’Angleterre (Olivia Colman) se traine entre un corps qui faiblit et une cour de plus en plus véhémente. A ses côtés, Lady Sarah (Rachel Weisz) fait office de rempart, de protection et d’éminence grise. Quand la jeune Abigail Hill (Emma Stone) apparait dans le château sous les traits de la jeune jouvencelle écervelée, personne ne doute qu’elle va patiemment tisser sa toile à coup de flagornerie et de manipulations pour récupérer sa place dans le beau monde.
Le film éblouit par un jeu psychologique tiré au cordeau. Les dialogues de la plus belle distinction aristocratique recèlent autant de fiel que de perversité. Les sourires montrent les dents et les manières très british ne sont que poudre aux yeux pour échafauder des jeux de pouvoir millimétrés. Pour appuyer le trait, le réalisateur use avec art de focales qui allongent les plans ou courbent la ligne d’horizon. L’impression de cage au lion se fait si oppressante que le spectateur s’attend constamment au pire. Les plus grands personnages de la couronne britannique ressemblent à des patients d’hôpital psychiatrique, seulement libres de leurs mouvements par la seule grâce de leur rang.
L’intrigue voit la nouvelle arrivée creuser son trou à force de manigances et d’alliances, évinçant la favorite en titre avec éclat. Mais le spectateur le sait bien, les favorites vont et viennent par la seule volonté d’une reine pas si décatie qu’elle en a l’air. Olivia Colman tire le meilleur d’une dialectique maitrise servitude dont elle est la seule à véritablement tirer les ficelles. Les impudentes trop sûres d’elles finiront à la trappe sur l’autel de la seule volonté personnelle de la souveraine. Ce jeu de dupes empreint le film d’une puissance perverse qui lui donne tout son cachet. Les coups bas se succèdent à un rythme vertigineux, donnant à ce film une profondeur assez inédite. Après Alejandro Inarittu et Guillermo Del Toro, Yorgos Lanthimos pourrait bien tirer le gros lot aux Oscars, à moins que Alfonso Cuaron ne s’impose avec Roma.
Fiel et perversité imprègnent le film d’une atmosphère dérangeante qui plonge le spectateur dans un malaise persistant. Le jeu des apparences se mélange avec des manoeuvres souterraines de personnages dont aucun d’eux ne parvient à tromper une souveraine moins arriérée qu’il n’y parait, véritable stratège d’une cour fondée sur le rien et le pas grand chose.