Un jeune garçon se souvient d’une journée de sa vie où le destin de Ludwig van Beethoven a basculé, 20 ans après il se souvient alors qu’il renoue avec l’ours des salons, génie musical total et incompris, incapable de la moindre compromission avec les intérêts politiques et diplomatiques. Régis Penet offre un dessin et un scénario qui tiennent plus de l’oeuvre d’art que de la BD pour un ouvrage à lire et à relire, si possible en écoutant les morceaux recommandés dans les pages de fin de l’ouvrage. Une BD historique romancée qui fera date par sa pertinence et sa fougue.
Un grand génie incompris
Ce qui marque le plus dans cette BD aussi musicale qu’historique, c’est la force des dessins. Le Noir et blanc choisi par Régis Penet souligne brillamment les traits du personnage Beethoven, figurant le côté très sombre de ses pensées et l’intense tumulte qui semble l’étreindre constamment. La BD évoque de manière elliptique des épisodes significatifs d’une existence passée sous le sceau du génie et se concentre sur une journée particulière où le grand ami et protecteur du génie lui demande de jouer pour l’occupant français après la débâcle de la bataille d’Austerlitz. Celui qui dédia sa 3e symphonie dite héroïque au premier consul Bonaparte renia son geste après le couronnement de l’empereur Napoléon, expliquant ainsi son amertume quant à la versatilité des espoirs placés dans les grands hommes. Compositeur acharné, Ludwig van souffre de constater une surdité d’abord légère devenir persistante tout en s’aggravant. Travailleur acharné, il s’ingénie à combattre le mal par un investissement démultiplié dans son art, combien même les relations avec ses semblables doivent s’en ressentir. Le jeune fils du prince Alois von Lichnowsky, Eduard, sert de fil rouge à une histoire qui renvoi aux tourments du maitre pour composer avec les intérêts des puissants. Son intransigeance légendaire prend corps dans des bulles qui ressemblent plus à des tableaux qu’à des simples dessins. Régis Penet livre un réquisitoire implacable contre les manigances autant hypocrites qu’intéressées de puissants toujours tournés vers leur intérêt propre, au contraire d’un Beethoven qui refuse de s’abaisser à la compromission. La BD se lit avec passion quand tout le monde essaye de manœuvrer l’ogre allemand, en pure perte. L’auteur insiste sur des détails qui font sens tout en passant rapidement sur la grande histoire, plus intéressée par une peinture du personnage plutôt que par le cours d’histoire déjà raconté maintes et maintes fois.
Cette accumulation de petits détails richement évoqués fait le sel de cette BD qui confine à l’analyse psychologique d’un homme trop grand pour ce petit monde. Le dessin rappelle l’encre de chine utilisée pour les gravures anciennes et donne une dimension titanesque à une existence qui marqua autant son temps que le cours de la musique universelle.
Synopsis: « Dites aussi aux Français qu’il reste un homme en Autriche qui ne leur est pas soumis et qu’il ne porte aucun titre ! » 1806, Beethoven a 36 ans et réside au palais du prince Alois von Lichnowsky, son ami et mécène, où il va nouer une amitié avec le jeune fils du prince, Eduard. C’est le temps des grandes conquêtes napoléoniennes et l’Autriche est désormais occupée par les troupes françaises. Pour montrer aux officiers français qu’il reçoit à dîner, « ce que reste un prince d’Autriche », von Lichnowsky met un point d’honneur à ce que le compositeur joue devant ses hôtes. Mais Beethoven refuse de faire montre de son talent. Par insoumission, non seulement à l’égard des vainqueurs, ces « serviteurs de la tyrannie » mais également à l’égard de son protecteur qui veut l’exhiber. Il est et restera un homme libre !
À travers le récit de cette journée particulière, Régis Penet fait œuvre biographique et dresse un portrait saisissant de « l’ours des salons » : un génie sûr de son talent, indomptable et épris de liberté. Instructif, émouvant… tout simplement magnifique !
Editeur: La Boîte à Bulles
Auteur: Régis Penet
Nombre de pages/ Prix: 144 pages / 22 euros