
« Last Work » d’Ohad Naharin : la danse intranquille et impétueuse en étendard
Dès la première seconde, « Last Work » d’Ohad Naharin nous immerge dans un espace où la danse devient urgence, où chaque geste semble être le dernier, comme si la scène était le seul endroit où l’on pouvait encore respirer.
Sur le tapis roulant, une femme court, inlassablement, indifférente à la tempête chorégraphique qui gronde autour d’elle. Cette runner, fil rouge silencieux, incarne le temps qui file, l’individu qui résiste, la vie qui s’obstine.
18 autres danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon investissent l’espace et donnent corps au langage gestuel si caractéristique au chorégraphe qui dirige depuis 1990 la Batsheva Dance Company, basée à Tel Aviv.
Un langage du corps viscéral et organique
Naharin crée un langage, le fameux « gaga », qui permet aux danseurs d’explorer des territoires physiques insoupçonnés. À l’abri d’une expressivité du geste guidée autant par la sensation que l’imaginaire ou encore l’improvisation de l’interprète, porteuse d’une résonance émotionnelle percutante, cette gestuelle nous habite longtemps.
Ici, les corps se tordent, rampent, oscillent, se contorsionnent entre animalité et abstraction. On sent dans chaque articulation, chaque ondulation, une tension entre la liberté et l’enfermement, entre l’élan et la menace qui plane.
Les danseurs, maîtres de cette grammaire exutoire, semblent parfois désarticulés, parfois d’une cohésion troublante, comme une meute qui hésite entre fusion et éclatement.
« Last Work » impose cette dualité entre euphorie et repli, entre l’exultation d’un groupe qui pulse à l’unisson et la gravité solitaire d’un monde en crise.
Les tableaux aux visions surréalistes se succèdent entre fête, oppression, guerre, résistance, méditation, imploration, introspection, le tout propice à des duos, des scènes de groupe ou des individualités hypnotiques.
Un traité d’humanité brute
Les bras se tendent vers le ciel, les jambes martèlent le sol, les regards cherchent une issue. On est saisi par cette liesse intranquille et cette énergie qui refuse de plier, même quand tout vacille autour.
Ce ballet est un traité de géométrie humaine, de fracas sensoriels, d’espoir et de résistance dans un monde brutal. Les identités se brouillent, les genres s’effacent, les interprètes s’individualisent tout en revenant au groupe
La musique électro du DJ allemand Grischa Lichtenberger scande cette traversée de manière quasi cinématographique. Les motifs sonores tout en contraste découpent les scènes où se succèdent les métaphores esquissées.
Onirique, crépusculaire et foisonnant, le vocabulaire dense convoque des images où passe l’ombre des conflits au Moyen-Orient.
Un manifeste où la danse ne lâche rien, résiste et dénonce envers et contre tout.
Dates : du 14 au 16 mai 2025 – Lieu : La Villette (Paris)
Chorégraphe : Ohad Naharin