Le malheur du bas, un coup de poing dans les entrailles (Albin Michel)
Ines Bayard est une toute jeune femme de 26 ans. On ne sait comment elle a eu l’idée d’écrire ce premier roman : Le malheur du bas. Un roman coup de poing. Coup de poing qui fait mal et qui pose questions.
Scénario implacable
Ce roman commence par la fin. Les deux premières pages révèlent la fin de l’histoire. Du coup, durant tout le livre, on sait comment l’histoire va se terminer. Tout à fait tragiquement. L’horreur absolue. Et cette scène reste ancrée en nous tout au long de notre lecture et nous invite à comprendre Marie, à comprendre pourquoi elle en est arrivée à cette scène finale. Mais ne croyez pas pour autant échapper au stress. Il vous accompagnera tout au long de votre lecture, jusqu’à la dernière page.
Un couple amoureux ordinaire
Ensuite, très vite, le lecteur va entrer dans la vie d’un couple, de Marie et Laurent, qui parait absolument parfaite. Et le drame va se produire aussi très vite. Le lecteur n’aura pas le temps de « déguster » la vie paisible du couple qu’un tsunami va tout balayer… Marie va subir une horrible agression sexuelle. La scène du viol est courte, mais d’une violence inouïe, percutante, dérangeante, exécrable. Le style de l’auteur change complètement à partir de la scène du viol, comme la personnalité de Marie.
Stop, stop, stop
Durant tout le livre, on suffoque, on s’arrête de respirer. On pose le livre, on n’en peut plus. On craque. Il faut que cela cesse. Et puis, on le reprend. Il faut vite terminer cette histoire. C’est un cauchemar. On est pris dedans, comme Marie. On n’arrive pas à s’en sortir. Comme Marie. On voudrait retourner en arrière, comme Marie. Mais on est dans le présent, dans la réalité, dans la vie de Marie. Dans le silence de Marie, dans la prison de Marie. Dans l’Horreur.
Pourquoi ?
Mais pourquoi écrire un tel livre ? Sans doute pour prendre réellement conscience de ce qu’une femme vit après avoir été violée. Tout le monde sait que c’est une tragédie, mais jusqu’à quel point ? L’auteur parle aussi beaucoup du couple. De l’incompréhension du mari. Il sent que quelque chose cloche, mais il ne change en rien ses habitudes. Et à chacune de ses tentatives d’approche, Marie va de nouveau se sentir violée. Le cauchemar ne cessera donc jamais.
Le corps déchiqueté de la femme
Avec Le malheur du bas, on vit ce viol de l’intérieur. On est tous Marie. Une autre dimension s’installe. On a tous envie de vomir. On entre à l’intérieur de son corps. Ce n’est qu’un roman, me direz-vous. Oui, bien sûr, mais tout le monde sait que des Marie, il y en a des dizaines, des centaines, des milliers… des vies détruites, ravagées par un viol. Juste quelques secondes, comme une bombe. Mais une bombe invisible. Et puis, ensuite la honte, le silence, les mensonges… L’enfermement.
Bien sûr qu’il faut avoir le courage d’écrire ce livre mais aussi de le lire. Bien sûr qu’il faut en parler. Bien sûr qu’il faut dénoncer ces crimes haut et fort. Et sans doute ce livre va-t-il en aider plus d’une à oser dire la vérité. Pour ne pas que ça se reproduise. Pour arrêter ce massacre. Pour aider ces femmes en extrême souffrance. Et pour venir en aide aussi aux hommes qui ne comprennent plus leur femme.
Les relations dans le couple
L’auteur place l’homme au cœur du roman. Il n’a pas la place la meilleure, certes, mais l’analyse qui en est faite est complexe. Il aime sa femme, il vit à ses côtés et pourtant, il ne sent pas la déchirure qu’elle vit chaque jour, chaque minute. Il ne voit pas, ne sent pas ou ne veut pas voir… Les relations à l’intérieur du couple sont aussi très complexes, même si de l’extérieur tout semble parfait.
L’amour maternel
L’auteur traite non seulement de la femme, du couple, mais également de la maternité, sous un nouveau jour. Est-on obligé d’aimer son enfant ? L’amour maternel est-il inné ? Le corps même de l’enfant gêne Marie. Il lui est insupportable.
Le malheur du bas n’est pas un roman écrit pour les femmes. C’est un roman écrit par une femme qui s’adresse à tous ! Et surtout même pour les hommes, a-t-on envie d’ajouter. De façon qu’ils découvrent ce que vivent les femmes, dans leurs corps qui est si différent de celui de l’homme. Car l’auteur décrit implacablement ce que vit Marie dans son corps, à chaque étape. D’où l’importance du titre. Le malheur du bas. Le bas est le « centre » du corps de la femme.
Jamais on n’oubliera ce roman. Il restera gravé dans nos mémoires. Un coup de cœur pour Publik’Art, même s’il est violent, cru et terriblement bouleversant et ressemble à un sacré coup de poing. Même si Le malheur du bas fait atrocement mal.
Excellente nouvelle : Le malheur du bas fait partie des quinze titres sélectionnés pour le Goncourt ! Déjà une merveilleuse récompense pour Ines Bayard ! On attend déjà avec impatience son deuxième roman, en l’espérant plus léger !
« Au cœur de la nuit, face au mur qu’elle regardait autrefois, bousculée par le plaisir, le malheur du bas lui apparaît telle la revanche du destin sur les vies jugées trop simples. »
Dans ce premier roman suffoquant, Inès Bayard dissèque la vie conjugale d’une jeune femme à travers le prisme du viol. Un récit remarquablement dérangeant.
Date de parution : le 22 août 2018
Auteur : Ines Bayard
Editeur : Albin Michel
Prix : 18,50 € (268 pages)
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