Les frères Sisters, un western sans les codes
La première incursion américaine de Jacques Audiard laissait entrevoir de belles perspectives. Un projet apporté par John C. Reilly, un casting illuminé par les grands Joaquin Phoenix et Jake Gyllenhaal, une ambiance crépusculaire où la limite entre le bien et le mal est comme floutée par des personnages aussi candides qu’impitoyables, le film a beau être annoncé comme un western, il n’en a presque pas les codes, les repères sont battus en brèche, ce qui est assez étonnant. Le film fonctionne-t-il pour autant? Un faux rythme et une dynamique en berne laissent poindre un certain ennui surtout que Les Frères Sisters dure 1h57. Patience exigée.
Une fratrie dysfonctionnelle
Mercenaires renommés dans l’ouest américain pour leur cruauté et leur art éprouvé du 6-coups, Elie et Charlie Sisters réalisent les sales besognes du Commodore, un richissime homme d’affaires qui n’apprécie pas du tout les entourloupes. Mais quand ils doivent retrouver l’inventeur d’une formule permettant d’identifier l’or dans le fond des rivières, leur quête se transforme en parcours initiatique. La routine se mue en questionnements et remise en cause. Car si le cadet Charlie (Joaquin Phoenix) est fait pour cette vie âpre mais exaltante, l’ainé Elie (John C. Reilly) pense à se ranger avec femme et enfants. La dichotomie philosophique entre les deux prend de plus en plus d’importance dans les rapports jusque là placides qui unissaient les deux anges déchus. Car c’est ainsi que le réalisateur français primé à Cannes pour Dheepan présente ses deux anti-héros ni très héroïques ni très charismatiques. Le film enchaine quelques gunfights où les balles semblent éviter ceux qui cherchent leur rédemption, volontairement comme l’ainé, où incidemment comme le cadet. Il y a beaucoup à dire sur l’atmosphère et la maxime du film, comme souvent chez Audiard fils, lui qui ne sait pas mener un scénario sans une profondeur philosophique abyssale. Pour ce qui est de l’aspect filmique purement western, le film souffre pourtant d’un problème de rythme assez étonnant. Les deux personnages passent un temps fou sur leurs canassons à bavasser pendant que le spectateur se pose des questions récurrentes. Où sont les femmes? Les films va-t-il finir par accélérer? Mais où veut en venir Jacques Audiard? Pour le premier point, il y a bien quelques femmes, mais rien de significatif, plutôt compréhensible dans cette ambiance de ruée vers l’or tout avant tout masculine. Pour le second point, le film n’accélère jamais vraiment, l’action est toujours minimaliste, laissant entendre des coups de feu sans rien montrer de palpable. Pour le troisième point, l’histoire de rédemption n’aide pas le film à décoller et la rencontre des deux frères avec le personnage de Jake Gylllhenhaal n’aboutit sur rien de tangible. Certains diraient que ce western est ennuyeux, on préférera dire que les codes du western sont uniquement présents pour des études de personnages aussi complexes qu’imprévisibles. Evidemment la technique offre de belles images et des plans somptueux, les acteurs en disent parfois plus avec un regard qu’avec de longs discours, l’histoire des frères est jonchée de drames, mais le film en lui-même s’essouffle vite. Et quand Auguste Comte est cité avec son phalanstère, le spectateur attentif comprendra que ce film n’a en fait pas grand chose à voir avec un western.
Les Frères Sisters est une semi-déception pour ceux qui attendent un opus de Jacques Audiard aussi nerveux que rythmé. Le film s’écoule comme une rivière et non comme un torrent, assoupissant les amateurs de grand spectacle épique. Les Frères Sisters, c’est un peu le pire et le meilleur du cinéma européen, capable de fulgurances mais aussi de complaisance.
Charlie et Elie Sisters évoluent dans un monde sauvage et hostile, ils ont du sang sur les mains : celui de criminels, celui d’innocents… Ils n’éprouvent aucun état d’âme à tuer. C’est leur métier. Charlie, le cadet, est né pour ça. Elie, lui, ne rêve que d’une vie normale. Ils sont engagés par le Commodore pour rechercher et tuer un homme. De l’Oregon à la Californie, une traque implacable commence, un parcours initiatique qui va éprouver ce lien fou qui les unit. Un chemin vers leur humanité ?
Sortie : le 18 septembre 2018
Durée : 1h57
Réalisateur : Jacques Audiard
Avec : Joaquin Phoenix, John C. Reilly, Jake Gyllenhaal
Genre : Western