Les parents terribles, une variation puissante du célèbre Famille je te hais au Théâtre Hébertot jusqu’au 30 avril

C’est peu de dire que le Théâtre Herbertot sublime la pièce de Jean Cocteau avec la reprise du spectacle créé au Théâtre de Nice et adapté par Christophe Perton dans son adaptation 2023. Le drame familial se noue dès la première scène avec Yvonne (Muriel Mavette-Holtz parfaite en mater familias grandiloquente) à la présence incroyablement théâtrale et haute en couleurs. Son amour inconditionnel pour son fils Michel (Emile Berling) tient de fil rouge pendant 2 heures de spectacle hypnotique. Georges (Charles Berling) est un mari et père rempli de duplicité, condition nécessaire à sa survie pour ne pas succomber à un amour maternel toxique qui le tourmente en le mettant à l’écart. Maria de Medeiros (Léo) est un juge de paix pas si empatique qu’il n’y parait, tirant les ficelles selon son bon vouloir. Lola Créton (Madeleine) est la femme qui bouleverse l’équilibre de la fragile famille. La pièce est véritablement portée par ses interprètes, tous plus investis les uns que les autres pour un résultat rien moins que magistral.

Une pièce totale

L’intrigue débute dans un appartement familial, et plus précisément dans la chambre d’Yvonne. Probablement diabétique sans que cela ne soit jamais mentionné, elle manque de faire une overdose d’insuline. Ce qui pourrait n’être qu’un incident prend des atours suicidaires quand la trame du drame ses met en place. Seule et oublieuse du monde, elle ne vit que pour son fils adoré, Michel, rejeton inconséquent qui vit comme ses parents aux crochets de Léo, parente seule décideuse d’avoir elle-même entretenu la ménagerie toxique. Maisonnée auto-surnommée la roulotte car sans attaches dans la société, son fonctionnement tient autant de la farce que de la psychiatrie. L’équilibre est forcément instable mais il tient malgré tout, jusqu’à la nouvelle qui va tout pervertir. Michel a une nouvelle femme dans sa vie en lieu et place de sa mère. La pièce fait voir un univers totalement atypique, de ceux qui ne semblent n’exister que dans les films ou sur une scène. Mère martyrisée par l’amour qu’elle porte à son fils, père mis de côté, fils qui ne se rend aucunement compte du tragique de la situation, le mélodrame emprunte visiblement à ses illustres devancières grecques. Tous les ingrédients sont réunis pour un véritable maelström d’émotions, involontaire pour les personnages, jouissif pour les spectateurs. Les réparties décalées font réagir le public au corps défendant des personnages, preuve que la pièce fonctionne brillamment. Chacun des comédiens et des comédiennes se fond complètement dans la peau d’un individu loin de toute normalité. La mère est dans l’excès de son amour pour son fils, le père cache une relation extraconjugale, le fils est un innocent uniquement concentré sur sa petite personne, la tante intériorise son amour interdit pour son beau-frère. Les machinations s’accumulent jusqu’à donner des airs de soap américain, en beaucoup plus recommandable bien entendu. La mise en scène se fait auront d’un lit, fait ou défait, transformé en canapé et témoin muet du drame, les personnages rentrent et sortent comme dans un ballet. la dynamique ne retombe jamais, entretenue par les esclandres qui s’enchainent. La musique souvent percussive rappelle le film Birdman avec son rôle à jour dans l’évolution du drame, porteur de sacrifices et sans jamais aucun vainqueur. Les dessins de Jean Cocteau s’étalent sur les murs au dénouement pour bien rappeler que tout cela n’est que du théâtre, ce que les protagonistes mentionnent à plusieurs moments dans des dialogues remplis de second degré, pour le plus grand plaisir du public. La salve d’applaudissements finale reflète parfaitement le ravissement collectif devant une pièce aux éclatantes qualités .

La pièce fonctionne par l’art des comédiens et des comédiennes pour donner à la situation ubuesque des airs d’universalité. La famille malade devient pendant 2 heures presque normale tant les personnages sont rendus puissants et attachants. La pièce est véritablement un must de la saison théâtrale, à découvrir au Théâtre Hebertot pour un moment de théâtre qui transporte.

Publireportage: Qu’y a t’il de plus beau et de plus émouvant que d’entrevoir le dessein d’un écrivain brouillant les pistes et disparaissant au travers d’une forme pour mieux apparaître dans le fond de son écriture ? Jean Cocteau, victime de l’échec de ses pièces précédentes, isolé et raillé par son propre milieu artistique, homosexuel assumé avant l’heure, drogué maladif et solitaire, prétend en 1938 renverser la table en écrivant une pièce de boulevard pour répondre aux attentes du public populaire et faire un succès digne de ce nom. « Les parents terribles » répondent à cette idée reprenant avec une maestria diabolique tous les codes du vaudeville pour produire par la forme une situation, un rythme, une mécanique et des dialogues, qui pulsent une énergie comique redoutable. La recette est magistrale et produit le succès attendu.

La pièce restera à l’affiche plus d’une année s’attirant les foudres de l’extrême droite, les éloges de la critique, et plus d’un million de spectateurs avant d’être ensuite immortalisée par le cinéma. Sauf qu’à y regarder de plus près il apparait clairement que le carburant de cette machine infernale se compose de tous les éléments qui fondent la tragédie universelle. Puisant chez les grecs, à la source du mythe originel de l’amour maternel pour le mâle nommé « fils », photographiant les vices et les aliénations qui fondent en forme de convention la famille française idéale, Cocteau dresse le terrible portrait des ravages que produit le sentiment universel de l’amour. Sans concession, sans compromis, il dissèque ces corps gangrénés, atrophiés par cette maladie qu’est l’amour. Mais plus profondément encore, cet amour impossible d’Yvonne, femme de 45 ans pour Michel, son fils de vingt ans, se reflète aussi, sans presque aucune déformation, dans l’amour de Cocteau pour Jean Marais, l’interprète historique du personnage de Michel.

Glissant tragiquement dans le costume d’Yvonne, Jean Cocteau substitue l’insuline dont le personnage est esclave, par l’opium qu’il fume lui-même sans relâche pour échapper à la solitude où l’enferme la sublime liberté avec laquelle il assume sa sexualité, ses désirs, son art et sa vie d’artiste. Cocteau dit en substance que nous vivons dans l’ère de l’actualité, alors que la poésie est la langue de l’intemporalité, d’une vérité accouchée de la nuit par un autre « moi » plus profond, plus dangereux que nous essayons de dominer à longueur de temps. C’est « cet autre » qui fait scandale et crée le malaise dans cette pièce abyssale qui pose l’équation du chaos incarné par le désordre d’Yvonne qui à l’instar des enfants et des fous ne dissimule pas ce moi profond et les désirs terribles qui en découlent.

Synopsis: Dans un grand appartement parisien, Yvonne 45 ans, ne peut se résoudre à voir son fils Michel la quitter. Elle et son mari Georges vivent aux crochets de Leo, la soeur d’Yvonne, 47 ans. Michel est l’enfant choyé de cette étrange « roulotte » qui semble rouler à l’écart du monde. Yvonne idolâtre son fils jusqu’à en oublier son mari. Elle s’oublierait elle-même si elle ne devait pas s’occuper de son traitement à l’insuline. Lorsque Michel découche pour la première fois, c’est pour avouer à sa mère (qu’il surnomme Sophie) qu’il aime Madeleine, une jeune femme qu’il souhaiterait lui présenter. Jalouse et exclusive, Yvonne finit par capituler devant le chagrin de son fils et l’insistance de sa soeur Léo. On découvre entre-temps que Madeleine a déjà un « vieil amant » avec lequel elle veut rompre et qui n’est autre que Georges, le père de Michel. Léo qui dissimule depuis toutes ces années son propre amour pour Georges va tenter d’ordonner cette tragique comédie de la vie.

Détails:

Durée : 1h50
Plein tarif : Cat. Or : 53 € / Cat. 1 : 47 € / Cat. 2 : 38 € / Cat. 3 : 25 € / Cat. 4 : 15 €
Infos et réservation : au guichet du théâtre, 78 bis boulevard des Batignolles 75017 Paris (ouvert le mardi de 12h30 à 18h, du mercredi au samedi de 12h30 à 20h, le dimanche de 11h à 16h30, fermé le lundi. Fermeture estivale du 30 juillet au 5 septembre inclus), par téléphone au 01 43 87 23 23 et sur notre billetterie en ligne.

NOS NOTES ...
Originalité
Mise en scène
Jeu des comédiens
Plaisir de la pièce
Stanislas Claude
Rédacteur ciné, théâtre, musique, BD, expos, parisien de vie, culturaddict de coeur. Fondateur et responsable du site Culturaddict, rédacteur sur le site lifestyle Gentleman moderne. Stanislas a le statut d'érudit sur Publik’Art.
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1 COMMENTAIRE

  1. article très juste j’ai vu la pièce et les comédiens sont vraiment très bien. Et les jeunes sont à la hauteur de cette pièce incroyable de Cocteau!

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