« Ma chambre froide », la fable noire et fantasque de Joël Pommerat : jubilatoire

"Ma chambre froide, la fable noire et fantasque de Joël Pommerat : jubilatoire
Photo : « Ma chambre froide » (© Alain Fonteray).

« Ma chambre froide », la fable noire et fantasque de Joël Pommerat : jubilatoire

Avec « Ma chambre froide » (captation intégrale à la fin de l’article), Joël Pommerat poursuit son questionnement de l’âme humaine au travers un dispositif circulaire qui, comme son récit aux multiples rebondissements, se prête à un regard à la lisière du réel et de l’imaginaire, du visible et de l’invisible, pour nous plonger au cœur d’une fable sociale, cruelle, tendre, drôle et fascinante.

Cette scénographie panoptique fait surgir du noir le plus profond, sous une lumière sculpturale assortie d’une sonorisation suggestive ou pop, les personnages et les situations. Elle les charge d’une dimension crépusculaire, mystérieuse, sensorielle, et concrète qui imprime une intensité et un naturalisme au climat instauré.

A partir de cette configuration où les spectateurs sont installés comme au cirque tout autour sur des gradins avec une vue sur tous les angles, la pièce débute dans l’obscurité d’où une voix off raconte la vie d’une femme prénommée Estelle, disparue depuis 10 ans, et ayant laissé un cahier journal qui va s’illustrer furieusement sous nos yeux.

L’héroïne, employée modèle dans un magasin, était d’un dévouement total et d’une bonté infinie. Toujours prête à rendre service à ses collègues qui en profitaient sans vergogne, elle ne se plaignait jamais et ne portait aucun jugement sur son patron, M Bloch, un odieux et grossier personnage, dont elle voulait croire qu’elle pouvait changer ses idées. Car cette femme étrange et spirituelle aimait les étoiles, le théâtre et les déguisements et aider par dessus tout ses semblables “avec cette faculté de se mettre à la place des autres” et “une manie de vouloir les faire changer”.

La narratrice qui avait travaillé avec Estelle nous entraine dans son vécu et celui des autres employés avec son lot de rivalités, de mesquineries, d’humiliations et d’harcèlements en tout genre. Jusqu’au jour où M Bloch apprend qu’il est atteint d’un mal incurable et décide de léguer tous ses biens à ses employés à la condition qu’ils rendent hommage à sa vie.

Estelle propose alors qu’une pièce en son honneur soit montée et pour laquelle chaque membre du personnel devra incarner un rôle. C’est alors que le spectacle prend une nouvelle tournure et se radicalise encore où chacun des personnages, dans sa nouvelle position d’auto gestion collective, doit se confronter à de nouvelles réalités : économiques, morales en contradiction avec leurs idéaux initiaux de simples employés qui leur apparaissaient naguère inhumain et leur semblent à présent inéluctables, mais aussi artistiques en s’improvisant comédiens, le tout donnant lieu à des scènes ravageuses, fantasmagoriques et hilarantes.

Entre clair obscur et sophistication éblouissante 

Elles font exploser la part d’ombre et l’ambivalence des protagonistes jusqu’à leur paroxysme où à l’instar d’Estelle, le bien peut se dédoubler en mal, sur fond d’économie libérale, avide, cynique et destructrice. La quête d’inspiration théâtrale d’Estelle issue de ses rêves et de ses cauchemars donne lieu à une imagerie fantasque proprement délirante. D’une drôlerie jubilatoire, les répétitions dévoilent une auto critique de l’univers théâtral où les comédiens laborieux sont menacés de mort et astreints à répéter tous en cœur ”j’aime le théâtre. Le théâtre est plus important que la vie”.

Sur la plateau, les séquences s’enchaînent sans répit comme dans un film entre un clair obscur sidérant et une sophistication éblouissante. Elles démontrent une maîtrise scénique et artistique très aboutie qui entremêle une histoire intime et collective en sondant la nature humaine et la dérive d’un système économique.

Cette appropriation de l’aire de jeu par Pommerat dans une vérité propre, multiforme et fantastique constitue, dans le ressenti qu’elle fait naître et l’évocation qu’elle suscite, une expérience unique pour le spectateur. Pierre angulaire de cette mise en abîme, les comédiens qui sont, là, tous unis dans un jeu singulier, juste et précis.

La force créative de ce spectacle (Molière du meilleur auteur, Grand prix du SACD et prix Europe pour le théâtre des nouvelles réalités 2011) témoignait d’une ambition et d’une exigence porteuses de tous les possibles. Et le parcours depuis du dramaturge/auteur, ne l’a pas démenti.

La captation n’est plus disponible

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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