
« Mad Men » : le vide sublime du rêve américain
« Mad Men », c’est une série qui a réussi l’exploit de transformer le néant en objet d’art. Sept saisons où l’on regarde des types fumer, boire, tromper leurs femmes et essayer de vendre du shampoing comme si c’était Shakespeare. Et le pire ? On est fascinés.
Parce que derrière les costumes taillés et les répliques glacées, il y a quelque chose de plus grand, de plus sombre : le spectacle sublime de l’illusion qui se fissure.
Don Draper (Jon Hamm) par exemple : c’est un mystère en costard, une silhouette qu’on croit solide, mais qui se dissout au fur et à mesure qu’on l’approche.
L’élégance fatale
C’est le mensonge devenu chair, une cicatrice habillée en publicité Coca-Cola. Un personnage tellement creux qu’il en devient poétique. On pourrait se moquer de lui — et on le fait, évidemment — mais avouons-le : quand il vend un mensonge, il nous vend aussi la beauté du mensonge. Et ça, c’est hallucinant.
Car Mad Men n’est pas qu’une satire du rêve américain : c’est une symphonie de silences, de regards perdus dans la fumée, de gestes insignifiants qui deviennent tragiques. C’est lent, oui. Mais cette lenteur est calculée, presque hypnotique. Elle nous force à contempler l’érosion, à voir comment un sourire impeccable peut cacher une solitude abyssale.
Et puis il y a les femmes de la série — Peggy Olsaon (Elisabeth Moss), Joan Holloway (Christina Hendricks), Betty Draper (January Jones), coincées dans un décor trop étroit et habitées d’une illusion funeste, qui sont les véritables héroïnes de ce soap trouble et complexe, traversant ce monde saturé de whisky et de testostérone avec un mélange de fragilité et de puissance.
Eux croient écrire l’histoire en inventant des slogans ; elles, elles survivent à l’histoire en la transformant de l’intérieur. Elles sont le contrepoint lumineux d’un décor saturé de faux-semblants.
Au fond, « Mad Men » n’est pas une série sur la pub, ni sur les sixties, ni même sur Draper. C’est une série sur le vide. Mais pas un vide triste ou morne : un vide magnifique, chorégraphié, taillé sur mesure, mystérieux, habillé de soie et de fumée.
Un vide qui ressemble étrangement au nôtre, celui des réseaux sociaux, des identités bricolées, des slogans qu’on s’invente pour se rendre supportables.
Alors oui, « Mad Men », c’est une série qui nous berce avec du néant. Mais avouons-le : rarement le vide n’aura été aussi beau à regarder, aussi vertigineux à s’imprégner de sa détresse existentielle.
Sur Arte.tv « Mad Men » l’intégrale en sept saisons