Roman court, à peine 100 pages, plus sûrement une nouvelle, en tout cas le début d’un triptyque qui fascine par ses règles très éloignées des standards habituels, ou son absence de règles justement. Pas de début ni de fin, un monologue entre passé et présent, entre rêve et réalité, entre folie et lucidité? L’auteur Laurent Pépin est psychologue clinicien, il ne donne pas de nom à son narrateur à l’équilibre déséquilibré, qui semble glisser doucement mais sûrement sur la pente d’une psychose qui le dévore. Tout est affaire de supposition, rien n’est figé et chacun peut y trouver ce qu’il souhaite. Roman autobiographique, fruit d’observations quotidiennes auprès de ses patients, l’imagination est reine et il faut se laisser emporter par une lecture semblable à une ivresse, tout à tour ardue, douloureuse et réjouissante.
Un roman de tous les possibles
Le lecteur attentif sait bien dès le départ que le roman qu’il tient dans le mains n’apportera pas de réponses définitives au chemin psychologique tourmenté du narrateur. Il lui faut déjà comprendre que l’écriture en italique renvoie à des réminiscences du passé et que l’écriture droite suit un présent tortueux. Les mots utilisés sortent du cadre commun, le personnage principal est un psychologue au jargon très personnel, comme un langage poétique utilisé autant pour comprendre ses patients (aka ses monuments) que pour se protéger. Car son histoire est singulière avec des parents dysfonctionnels qui l’ont marqué à jamais. Sont-ils stricto sensu à l’origine de ses tourments névrotiques, le roman laisse la porte ouverte. Il force en tout cas à se projeter dans un esprit tortueux car le narrateur psychologue côtoie lui-même la folie quotidiennement, jusqu’à flouter encore un peu plus ses repères. Au fil des pages, ce qui pourrait apparaitre comme de la folie prend des atours de plus en plus normaux, le lecteur peut abandonner ce qu’il sait de la vie pour se figurer la réalité d’un état schizophrénique. Le jour et la nuit semblent se confondre, la bienveillance devient une manipulation cachée et ce qui peut ressembler à de la la torture psychologique passe pour un acte d’amour. Mieux vaut lire le livre bien assis dans son fauteuil sous peine de tanguer sous le coup des bourrasques poétiques de l’auteur, car il réussit le tour de force de faire rentrer dans un univers qui pourrait passer pour totalement délirant selon le point de vue, mais à la logique irrésistiblement fascinante. Comment parler de ce livre hors-norme sans évoquer les parties cauchemardesques et, a contrario, cette fausse légèreté mettant le personnage comme en apesanteur. Les scarifications et la boulimie morbide alternent avec un vocabulaire de conte de fée, sans vraiment savoir ce qui fait le plus partie du réel ou de l’imaginaire.
Le mélange opéré par l’auteur est saisissant car il interroge in fine sur soi-même et sa propre vision du monde. Le cataloguer comme une plonger dans la folie est réducteur, mais c’est faire preuve d’angélisme que de ne pas souligner la souffrance constante ressentie par ce narrateur obligé de parcourir un territoire psychologique rempli de pièges. Ne reste plus qu’à découvrir les 2 autres tomes du triptyque pour savoir où l’auteur va bien pouvoir mener le lecteur. 100 pages pour ce premier volet, c’est court mais intense.
Synopsis: Depuis toujours, j’ai du mal à établir des contacts avec les gens « normaux ». Quand je suis dans le trou noir, la tronche à l’envers, avec l’envie d’engueuler le vent et les oiseaux, je me dis parfois que ce sont des modèles en série, des ersatz, des brumes floues, sans consistance.
Alors que les bizarres, c’est plus noble. Eux, ce sont des modèles uniques qui sont nés sans mode d’emploi et en kit et qui ont dû se fabriquer seuls. Alors, bien sûr, ça donne des constructions très personnelles. Les idées ne sont pas au bon endroit, ou bien elles sont morcelées ou trop vastes, sans limites. Et parfois, il manque des pièces. C’est le problème des trucs en kit.
Je suis devenu psychologue et je travaille dans ce Centre. Souvent mon boulanger me demande si ce n’est pas trop dur de travailler avec « les fous ». Moi j’ai envie de lui répondre que ce qui est vraiment dur, c’est plutôt ce genre de dialogue, mais je me tais.
Et je ne peux pas répondre que parmi les Monuments, on peut parfois trouver des elfes.
Editeur: Flatland édition
Auteur: Laurent Pépin
Nombre de pages / Prix: 100 pages / 8,50 euros