Sortie le 10 septembre 2014
Synopsis
Paul, un employé sur une plateforme téléphonique, est en plein burn-out.
Un vendredi 13, la chronique du journal télévisé sur ce jour particulier lui apparaît comme un signal pour passer à l’acte.
Décidé à concrétiser son geste, Il s’enfuit dans la montagne où il va vivre une expérience unique.
Le nouveau film de Benoît Delépine et Gustave Kervern est un « ovni » cinématographique qui va sans doute diviser les spectateurs, entre fascination et ennui mortel. Mortel Near Death Experience l’est d’abord pas son thème : l’expérience d’un homme ordinaire, Paul, incarné par le romancier et poète Michel Houellebecq, à travers son projet d’aller se suicider sur la montagne Sainte-Victoire. L’occasion d’une rencontre choc entre deux univers, celui de l’auteur de La carte et le territoire récompensé par le Prix Goncourt en 2010, ainsi que des succès littéraires que sont Les particules élémentaires (1998) et La possibilité d’une île (2005), avec les auteurs de Groland qui ont déjà signé plusieurs œuvres remarquées et récompensées comme Aaltra (2003), Avida (2006), Louise Michel (2008), Mammuth (2010) et Le grand soir (2012).
Les deux réalisateurs optent pour un choix de mise en scène radical et emballent le tout avec un faux-amateurisme en réalité très maîtrisé. A l’heure où l’image se fait de plus en plus définie et où le moindre détail se voit à l’écran, Benoît Delépine et Gustave Kervern ont tourné leur nouveau film avec une petite caméra basse définition, un matériel presque obsolète au regard du cinéma actuel. Mais ce choix est justifié par le regard du « héros » sur le monde, un regard légèrement flou et décalé en même temps qu’extrêmement lucide, comme le sont les romans de Houellebecq. Ce personnage de Paul, employé sur une plateforme téléphonique et au bout du rouleau, arrive à un moment où sa vie se trouve dans une impasse et dont la seule sortie semble être la mort. Paul pourrait être l’homme que serait devenu Houellebecq s’il n’avait pas rencontré la littérature et le succès, prisonnier dans le carcan d’une vie banale faisant écho à celle du héros de Extension du domaine de la lutte (1999), le premier roman de Michel Houellebecq adapté au cinéma la même année par Philippe Harel. Near Death Experience est une longue errance où le spectateur suit Paul/ Houellebecq du début à la fin, dans ses longues réflexions sur la vie où cet être perdu semble observer un monde dont il n’a plus les codes, regarder une nature qui lui est étrangère et indifférente et que les deux cinéastes filment tel les plans larges d’un western de Sergio Leone. Des images d’un nature belle et hostile qu’accompagne des morceaux magnifiquement tristes de Franz Schubert, ajoutant à la mélancolie du personnage en pleine dépression nerveuse. Un ton étonnamment grave se dégage de l’ensemble et l’expérience du titre prend peu à peu sens. Celle-ci est heureusement régulièrement désamorcée par un humour noir où l’on retrouve enfin l’esprit provocateur des deux coauteurs de Canal plus, et qui est par moment franchement hilarant et salvateur. Malgré cela, le film pourrait être finalement l’adaptation d’un des romans de l’écrivain, tellement son propos et ses dialogues (enfin plutôt monologues) son visage au regard dans le vague et son physique amaigri imprègne chaque moment, dégageant peu à peu une fascination à l’écran qui est celle du génie d’un des plus grands auteurs de la littérature contemporaine.
Avec des moyens dérisoires, les deux réalisateurs, qui sont pour la première fois producteurs (Near Death Experience est le premier projet de leur société No Money Productions) parviennent à proposer un grand moment de poésie métaphysique et une vision de la société d’un pessimisme profond, tout en livrant par ailleurs un éloge de la liberté, en montrant paradoxalement un bonheur possible dans un mode de vie libéré des conventions, à condition qu’il ne soit pas déjà trop tard comme semble l’être pour le personnage de Paul. Finalement les univers de Benoît Delépine et Gustave Kervern ne sont pas si éloignés et la réunion des deux crée un film étonnant, une véritable expérience pour reprendre le titre, à condition d’aimer les œuvres singulières qui ne ressemblent à aucunes autres. Near Death Experience est une proposition de cinéma libre et rare à ne pas manquer.