Ici, il n’y a pas de pourquoi interroge sur les conditions de la déshumanisation sur la scène du Lucernaire
Le roman autobiographique Si c’est un homme de Primo Lévi relatait l’expérience terrifiante vécue par son auteur dans un camp de concentration. De ce lieu de mort et d’inhumanité, Primo Lévi livrait un témoignage redécouvert depuis générations après générations. Tony Harrisson en fait une adaptation théâtrale vibrante sur la scène du Lucernaire. Comme abandonné seul sur scène, il incarne la lutte pour la vie malgré l’adversité et les tentatives continuelles de le rabaisser à l’animalité la plus accablante. Le comédien et metteur en scène ouvre le champ de l’ouvrage en ne citant ni les lieux ni les protagonistes, témoignant de l’universalité du récit par delà les époques et les continents. L’interprétation habitée du comédien s’accompagne d’un musicien percussionniste qui dispense des notes délicates et troublantes pour un moment de théâtre qui fera date.
L’inhumanité par delà les mots
La mise en scène dépouillée de Tony Harrisson laisse libre champ à l’interprétation puissante du comédien. Quelques morceaux de bois verticaux figurent les clôtures barbelées d’un camp où sont parqués des milliers d’individus livrés à des conditions de vie proches de l’esclavage. Obligés de travailler quotidiennement sans jours de repos ni nourriture appropriée, les pertes sont effroyables et les organismes s’usent irrémédiablement. Le comédien illustre l’affaiblissement des corps en passant d’une imposante stature verticale au recroquevillement et au claudiquement de plus en plus appuyés au fur et à mesure de la pièce. Le personnage raconte son quotidien avec des mots qui font frissonner. Le faim et la soif trouvent d’inimaginables illustrations tandis que le personnage tente de survivre en s’appropriant du mieux possible les conditions de vie, ne cédant jamais au découragement et à la désespérance.
Une pièce destinée à marquer la saison
Le texte unique de Primo Lévi trouve une variation pleine de sens sur la scène du Lucernaire grâce à l’adaptation de Toni Harrisson et Cécilia Mazur. Ce n’est plus seulement l’effroyable Shoah qui est évoquée mais tous ces moments dans l’histoire de l’humanité où l’homme a été nié, que ce soit l’esclavage des noirs en Amérique, les massacres perpétrés par les khmers rouges au Cambodge ou les guerres d’ethnies en Afrique. Le personnage incarne tous ces hommes confrontés à l’indicible et bien obligés de tout tenter pour survivre. Le texte déclamé avec force par le comédien est ponctué d’une voix off rajoutant à la profondeur de l’instant. La pièce s’organise entre diverses incursions musicales animées par le percussionniste expert Guitoti. A l’aide de l’instrument récent et mal connu Handpan, le musicien disperse des notes délicates comme celles d’une harpe pour illustrer le froid et la solitude du personnage. L’accord des deux produit un effet incommensurable sur un public resté silencieux tout au long du spectacle pour un déferlement d’applaudissements finaux.
Ici il n’y a pas de pourquoi ne cesse de poser des questions qui interpellent sans cesse l’audience. Le comédien hypnotise et captive pour une performance pleine de sensibilité et d’intensité. Une pièce à ne pas manquer au Lucernaire.
Dates : du 15 mars au 13 mai 2017, du mardi au samedi à 21h
Lieu : Le Lucernaire (Paris)
Metteur en scène : Tony Harrisson
Avec : Tony Harrisson, Guitoti