Au plus près du mal, un livre de Frédérique Balland (Grasset)
Frédérique Balland est psychologue à la Brigade criminelle. Dans son livre Au plus près du mal, elle raconte un peu son parcours et beaucoup d’enquêtes criminelles auxquelles elle a participé. Son parcours est atypique car en principe les psychologues s’intéressent aux victimes et non aux tueurs. Elle a choisi, délibérément, de se mettre du côté du tueur et d’essayer de comprendre ses gestes et même de les anticiper. Rien ne nous laissera indifférent tout au long du livre.
Frédérique Balland va ajouter ses propres indices à ceux de la Brigade criminelle. Dans son livre Au plus près du mal, elle raconte combien elle a été proche de criminels excessivement dangereux et comment elle a pu donner ses propres ressentis sur la personnalité du criminel. Mon travail est celui de l’esprit. Je regarde ce que personne ne voit, écrit-elle p.21
L’important est l’impact qu’elle a à la fois sur la police et sur le supposé coupable.
On sent l’auteure passionnée par son métier. Etre psychologue n’est pas forcément reconnue dans notre société. Il arrive encore que des psychologues se battent encore contre les préjugés de certaines personnes. Mais apparemment pour Frédérique Balland ce n’est pas le cas. Elle a très vite trouvé sa place, au milieu d’hommes, et également face aux hommes supposés criminels. Rien ne lui fait peur. Elle nous narre ses nombreuses interventions et nous lirons son livre comme un roman policier. Mais ici, c’est la vraie vie de Frédérique Balland. Une vie difficile, des horaires de folie, des asticots qui vous grimpent le long des jambes et une mise en danger perpétuelle. Quelques passages font vraiment froid dans le dos. Mieux vaut lire ce livre la journée que le soir car vous risquez de ne pas vous endormir facilement ! Le testicule est tombé à terre, détaché du corps, les asticots l’emportent et le roulent plus loin. p.27
On peut regretter que l’auteur nous raconte des histoires criminelles, une vingtaine, un peu comme des faits divers, nous en donnant de menus détails au moment de l’opération, mais quelquefois, nous n’en connaitrons jamais la fin. Il est vrai qu’elle reprend des affaires fort connues de tous : l’affaire Bloch qu’elle détaille sur plusieurs pages pour arriver à une conclusion terrible puisque le criminel court toujours. Nous aurons aussi la folie du tireur au Conseil municipal de Nanterre, Richard Durn qui tue huit personnes et en blesse vingt-sept, l’horrible meurtre d’Ilan Halimi, et d’autres « petits » criminels moins populaires…
Si nous apprenons comment fonctionne la brigade criminelle, nous n’apprenons pas grand chose sur son travail à elle. Elle dit qu’elle choisit se smots, qu’elles scrute les regards des tueurs, leurs yeux, leurs silences. Mais elle ne dit pas ce qu’elle dit, ce qu’elle pense. On aurait aimé que ce soit plus concret et qu’elle nous rapporte exactement ce qu’elle a dit au policier au moment des négociations avec le tueur présumé. Elle pense que les criminels sont logiques et qu’on peut déceler en eux leur vérité. On veut bien la croire mais plutôt que de nous raconter des faits divers qu’on connaît déjà, elle aurait dû mettre l’accent uniquement sur ses mots à elle. On a plus l’impression qu’elle agit comme un « flic » que comme une psychologue. C’est très visible quand elle raconte l’histoire du bagagiste de Roissy. Elle jubile en disant que Abderrezak a été innocenté par la police. Mais quel fut son rôle à elle ? Très difficile de le percevoir. Elle écrit : Je ressors troublée de l’audition d’Abderrezak : malgré ce qui ressemble à des preuves accumulées contre lui, plusieurs éléments me font pencher en faveur de sa sincérité. p.143
A chaque fois, on est en droit de se poser la question. Quel est le fondement scientifique de l’intervention de Frédérique Balland ? A la limite, peu importe ! L’important est l’impact qu’elle a à la fois sur la police et sur le supposé coupable. J’admire beaucoup le courage qu’elle a eu d’affronter de tels criminels, d’avoir pu les regarder droit dans les yeux et de ne jamais avoir flanché. Rien que ça est une victoire. A la fin de son livre, on ressent une certaine déception de l’auteure quand elle fait le constat de ses nombreuses années consacrées à la Police. Elle a arrêté sa collaboration et travaille maintenant comme tous les psychologues, à son cabinet. Elles soignent ses patients. Le soin n’a pas sa place dans la police, écrit-elle, le temps est venu pour moi de retrouver cette dimension professionnelle. p.168.
Néanmoins, Au plus près du mal est un livre captivant qui vous tiendra en haleine. Avec les évènements du 13 novembre, je ne sais quelles seraient les réflexions de l’auteure devant de tels criminels. Je pense qu’il est quasi impossible d’avoir une quelconque compréhension et, ou, empathie, pour des actes d’une telle barbarie et des tueurs qui ne ressemblent en rien à des personnes.
Tandis que les enquêteurs établissent les premières constatations, elle furète, regarde, examine. Les scènes de crime lui parlent. Psychologue de la police, certains diraient « profileuse » mais elle n’aime pas ce terme, Frédérique Balland cherche à élucider ce qui se tait et pourtant signifie. Pourquoi le meurtrier a-t-il recouvert sa victime d’une couverture ? Pourquoi les a-t-il toutes attachées de la même façon ? Pourquoi cet assassin a-t-il tué les victimes qui se débattaient et laissé en vie celles qui se sont résignées ?
Avec les policiers de la Brigade criminelle, au célèbre « 36 » ou à Versailles, elle a travaillé plus de huit ans. Elle côtoie les enquêteurs, mais surtout les suspects. Elle ne dit rien, elle n’écoute pas ce qu’ils disent. Elle regarde autre chose. Leurs gestes, leurs yeux, leurs nerfs. Elle remonte leurs parcours. Et approche leur enfance, aussi. Son métier ? Analyste de profil. Les criminels obéissent à une logique. Frédérique Balland a appris à la comprendre, du moins à l’approcher, jusqu’aux frontières du mal.
Dans ce livre unique, plein de force et de retenue, Frédérique Balland retrace des affaires inconnues, d’autres, célèbres en apparence – elle raconte son parcours personnel, nous livre ses émotions, son travail, sa passion. Une traversée.