Point Final, livre de William Lafleur (Michel Lafon)
Point Final – Qui n’a jamais rêvé de disparaître soudainement de sa propre vie ? De pouvoir se cacher dans un trou de souris afin d’observer la réaction de ses proches ? À partir de ce fantasme aussi morbide qu’aguichant, William Lafleur tire un premier livre touchant aux allures de fable existentielle.
Si le nom de William Lafleur semble inconnu, c’est parce qu’il s’agit d’un des nombreux avatars de celui qui sévit sous le nom de « Monsieur le Prof » sur les réseaux sociaux. Tour à tour espiègle, moqueur et cynique, Monsieur le Prof s’est bâti une réputation de prof hors du commun à coup de phrases cinglantes et de photomontages hilarants. Pourtant derrière la truculence de ce personnage virtuel se cache un réel désir de faire partager son expérience de professeur d’anglais en région parisienne, quitte à démolir certaines idées reçues trop souvent reprises sur le métier d’enseignant.
À mille lieues des élucubrations du prof sarcastique, le premier roman de William Lafleur met en scène un père qui décide de se faire passer pour mort afin d’observer secrètement les réactions des membres de sa famille. L’homme se cache, branche des caméras un peu partout dans la maison et place un mouchard dans l’ordinateur des enfants afin de suivre en direct leur quotidien. La vie de sa famille ne lui apparaît désormais plus que sur des écrans de télévision, comme si celle-ci n’avait plus ni substance ni réalité (« J’ai l’impression de suivre un soap opera, je veux savoir la suite, quelle tournure vont prendre les évènements. » p.29). Devenant ainsi une entité surplombante, le père prend la forme d’un narrateur omniscient capable de connaître les pensées de chaque personnage et d’influencer leurs décisions.
[L]’heure n’est plus à la révolte, mais au suicide 2.0. qui peut être liké, commenté et partagé.
Paru initialement sous la forme d’un feuilleton à suivre sur un blog, le roman de William Lafleur est structuré comme un journal intime dans lequel le père de famille vient consigner ses observations et analyses de la situation. Si le blog flirtait avec l’ambiguïté (les textes étaient présentés comme réels, les fruits d’une véritable expérience), Point final est annoncé explicitement comme une fiction. Les évènements décrits importent moins que les réactions qu’ils provoquent chez le narrateur : le père s’extrait de son monde pour mieux l’observer scientifiquement, en comprendre les rouages et les errements. Peut-on changer de point de vue sur un univers aussi familier que celui dans lequel on vit ? Les nombreuses questions soulevées par le roman, auxquelles William Lafleur ne répond jamais de manière dogmatique, donnent lieu à une expérience de lecture des plus stimulantes.
De fait, le lecteur ne cesse d’être pris à partie par le narrateur comme pour mieux l’inclure de force dans l’histoire à laquelle il assiste : « Peut-être que j’espère que quelqu’un me regarde à mon tour, de l’autre côté du miroir. Peut-être est-ce vous ? » (p.18) ou encore « Cessez de me lire, et pensez-y. Ne parcourez pas la suite, ne faites pas la même erreur que moi. » (p.104). Si l’on peut déplorer la présence de ce dispositif quelque peu artificiel, force est de constater que celui-ci n’entrave en rien l’émotion qui se dégage du livre.
Derrière ce touchant portrait d’un père qui perd pied face à la superficialité de son monde se cache une profonde réflexion sur la vacuité de la vie. La peur du vide contamine chacune des pages de ce trop court roman, les personnages ne devenant plus que des coquilles vides traversées par le néant. Cette indifférence qui habite les personnages, cette impression de ne plus être sensible au monde qui les entoure donne une importante clé de lecture à Point final qui peut ainsi être lu comme une métaphore de la dépression (« Qui s’ennuie le plus ? Celui qui vit le néant ou celui qui le voit ? » p.99).
À travers ce premier roman mature à l’écriture riche, William Lafleur révèle la complexité des états d’âme d’un homme qui s’éclipse de sa propre vie. Dans ce glaçant paysage d’un monde dans lequel la réalité ne se voit plus qu’à travers un écran, l’heure n’est plus à la révolte, mais au suicide 2.0. qui peut être liké, commenté et partagé.
« Ce matin, je suis mort. J’ai mis un point final à cette vie. »
Dans leur maison, une mère de famille et ses deux enfants viennent d’apprendre la mort accidentelle de leur mari et père.
Tout à leur souffrance, comment pourraient-ils se douter qu’ils sont épiés jour et nuit, que des caméras et des micros enregistrent chacun de leurs gestes et chacune de leurs paroles ? Que celui qui les observe n’est autre que leur cher disparu ? Bien vivant, à quelques rues de là, il tient froidement un journal dont les mots se nourrissent de leurs larmes.
Voyeur de la douleur des siens, manipulateur de leur détresse, celui dont l’existence se limite aux pages qu’il noircit jour après jour invite le lecteur à devenir complice de son jeu littéraire…
Date de parution : le 2 juin 2016
Auteur : William Lafleur (Monsieur Le Prof)
Editeur : Michel Lafon
Prix : 14,95 €
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