Poitiers Film Festival 2016 : coup de projecteur sur le cinéma de demain
Manifestation unique au monde alliant audace et singularité, le Poitiers Film Festival réunit les plus prestigieuses écoles de cinéma autour de la découverte de la fine fleur des réalisateurs de demain. Moins porté sur les rétrospectives de cinéastes déjà institués que sur une mise en lumière de jeunes réalisateurs(-trices) fraichement sorti. e. s de l’école, le Poitiers Film Festival fait bouillonner l’effervescence créative en conjuguant innovation et esprit de découverte : « Ce qu’on recherche ici, c’est un cinéma qui n’a pas (encore) peur des conséquences, qui crée sans entraves et s’autorise tous les coups… Une joyeuse exubérance créative et l’éclosion des talents de demain. »
Pendant plus d’une semaine, avant-premières, projections et débats se succèdent, constituant autant d’occasions et de rencontres stimulantes. Près de 49 films issus de 24 pays et de 34 écoles forment la sélection internationale, tandis qu’un jury composé de professionnels, d’étudiants et de cinéphiles aura pour délicate mission de récompenser les films les plus réussis à l’issue du festival. Révéler les talents de demain, c’est bien le pari du festival poitevin. Car derrière ce réjouissant programme, le Poitiers Film Festival constitue un tremplin facilitant l’entrée dans la vie professionnelle de jeunes réalisateurs français et étrangers. De nombreux dispositifs sont ainsi mis en place afin d’accompagner et de soutenir les réalisateurs émergents dans la construction de leur réseau professionnel et le développement de leurs projets.
Citons notamment les nombreux ateliers autour des questions de production, de droits d’auteur et de marketing, ainsi que le « café des producteurs », où jeunes réalisateurs et producteurs se rencontrent de manière plus informelle. S’adressant à un public constitué à la fois de professionnels et de simples curieux, le festival propose en outre de nombreux évènements gratuits et non moins insolites : mention spéciale pour le « Ciné-Sandwich » qui vous propose, à l’heure du repas, de « déguster » un film autour d’un pique-nique convivial. Ambiance assurée. Les enfants ne sont pas laissés sur la touche puisqu’un « ciné-doudou » gratuit leur est proposé : autour d’une ambiance cosy, les tout-petits ont pu apprécier une sélection de courts métrages spécialement sélectionnés pour eux. De quoi leur inculquer, dès le plus jeune âge, le virus du cinéma…
Emmanuelle Bercot et son film, La Fille de Brest, acclamés en ouverture
C’est par la projection de La Fille de Brest, dernier film de la réalisatrice Emmanuelle Bercot, que s’est ouvert le festival de Poitiers. Ancienne étudiante formée à la FEMIS, Emmanuelle Bercot n’est pas étrangère au festival puisqu’elle y a présenté un de ses premiers courts métrages en 1997 avant d’intégrer le jury au cours de l’édition 2001. Aujourd’hui réalisatrice et actrice reconnue (on lui doit notamment Backstage ainsi que la coréalisation de Polisse avec Maiwenn), Emmanuelle Bercot a fait l’honneur de sa présence en offrant aux spectateurs une œuvre coup de poing, dédié au combat d’Irène Frachon contre le Mediator.
Si le public français est familier de cette triste affaire, le film permet toutefois d’en apprendre plus sur la bataille acharnée qu’a livrée cette jeune femme courageuse contre le deuxième plus gros laboratoire pharmaceutique français. Le film, dont la forme s’inscrit dans la lignée de thrillers politiques comme Les hommes du président ou Erin Brockovich dresse le portrait d’une femme seule et courageuse, brandissant la vérité comme un étendard au nom de tous les malades en danger. Pour Bercot, seule importe la recherche de réalisme et de vérité, les aspirations de la réalisatrice rejoignant ainsi celles de son personnage principal. Les gros plans captent l’émotion des visages : le sourire de Sidse Babett Knudsen, imperturbable même dans les pires déconvenues, reflète l’état d’esprit d’une femme à la force incroyable et à la témérité revigorante. Une œuvre particulièrement revigorante, acclamée par une standing ovation méritée.
Le jeune cinéma danois à l’honneur
Pour sa 39e édition, le festival qui, il y a quelques années encore, s’appelait les rencontres Henri Langlois en hommage au père fondateur de la cinémathèque française, a proposé un focus autour du jeune cinéma danois. La projection de cinq longs métrages a ainsi donné l’occasion de redécouvrir l’esthétique glacée de Valhalla Rising de Nicholas Winding Refn ou la satire truculente du Direktør de Lars von Trier. Ces films, dont la vision sur grand écran provoque un vrai plaisir de spectateur, furent suivis d’une conférence consacrée au Cinéma danois. Animée par Aurore Berger Bjursell, spécialiste du cinéma danois, la conférence a retracé près d’un siècle de cinéma danois, depuis son âge d’or mis à mal par la guerre, jusqu’à son renouveau sous l’impulsion de réalisateurs comme Thomas Vinterberg et Lars von Trier. Cette thématique danoise fut prolongée par la projection d’une série de courts métrages issus de trois prestigieuses écoles du Danemark (Den Danske Filmksole, Super16 et The Animation Workshop). Tour à tour émouvants, drôles et effrayants, ces courts métrages jettent un regard insolite et plein d’empathie sur un monde dont on se demande bien dans quel sens il tourne.
Proposé dans le cadre de ce focus danois, Olmo et la mouette raconte l’odyssée d’un couple de comédiens dont le quotidien va se voir bouleverser par l’arrivée d’un heureux évènement : un bébé. Désormais lié par autre chose qu’une passion commune pour le théâtre, le couple devra jongler entre obligations professionnelles et vie familiale. Au théâtre comme dans la vie, de nouveaux rôles se créent et les masques tombent peu à peu… Réalisé avec finesse par deux jeunes réalisatrices et produit par Tim Robbins (!), Olmo et la mouette est un beau portrait de couple comme on en voit peu, abandonnant les bons sentiments au profit d’une réflexion intime sur la nature des relations humaines. Le dispositif proposé par les réalisatrices fait s’effacer les frontières entre fiction et réalité, créant un délicieux vertige dans lequel on prend plaisir à se laisser porter.
Le couple, bien réel, obéit pourtant aux contraintes de mise en scène des réalisatrices, dont on entend parfois la fois en off : certaines scènes sont reprises en changeant quelques détails, d’autres sont modifiés en accentuant le caractère d’un personnage. Le processus de création artistique avance de pair avec celui de l’enfantement, révélant ainsi le caractère organique et vital de toute création. Dans les rôles principaux, Olivia Corsini et Serge Nicolaï, tous deux absolument remarquables, se touchent, s’aiment, se disputent et s’interrogent. Les discussions, tantôt futiles et tantôt existentielles, s’alternent avec des captations de pièces dans lesquelles leurs problèmes parentaux s’effacent au profit de ceux de leurs avatars théâtraux. Le théâtre devient à la fois la réponse et le prolongement de la vie. De cette fiction documentée ou documentaire menteur, on ressort à la fois ravi et presque gêné d’avoir partagé d’aussi près cette intimité dont on finit par se moquer de savoir si elle est vraie ou fausse, tant elle sonne juste. Et l’envie de quitter sur la pointe des pieds, cette vie de songe…
Itinéraire d’une jeune comédienne : Lola Créton
Nouveau rendez-vous inauguré cette année au festival, « Itinéraire » a permis de revenir sur la carrière d’une jeune comédienne, en proposant une rétrospective de sa carrière ainsi qu’une rencontre avec le public. À seulement 22 ans, Lola Créton peut se vanter d’avoir déjà une belle carrière composée d’une dizaine de films, tous dirigés par les plus grands noms du cinéma français indépendant (Olivier Assayas, Catherine Breillat ou encore Mia Hansen-Løve). Accompagnée de la réalisatrice Dominique Cabrera et de la compositrice Béatrice Thiriet, la jeune actrice est venue présenter en avant-première son dernier film : Corniche Kennedy. Adapté d’un roman de Maylis de Kerangal (qui après l’adaptation cinématographique de Réparer les vivants a décidément le vent en poupe), le film met en scène une bande de jeunes marseillais qui domptent la peur en plongeant du haut d’une des corniches de la ville. Un beau jour débarque Suzanne (Lola Créton), jeune bourgeoise scolarisée à Marseille, bien décidée à envoyer valser toutes ses obligations et à plonger, elle aussi, tête la première. Dans ce cadre où la mort rôde, les couples se font et se défont, constamment tiraillés entre le besoin de paraître et la nécessité d’exister. Un drame existentiel qui interroge cette étrange période qu’est l’adolescence, où rien n’est vraiment sérieux et où la mort finit par s’apprivoiser.
Faire briller les étoiles de demain
Qui dit festival de cinéma dit compétition, et c’est autour d’un magnifique palmarès que se sont déroulées les différentes cérémonies de remise de prix. Citons notamment la cérémonie So French qui, à travers une sélection de courts métrages français, a donné la possibilité au public de voter pour son film préféré. Le public pictavien a ainsi salué la créativité et l’émotion de The Short Story of a Fox and a Mouse, véritable petit bijou d’animation qui n’a rien à envier aux productions professionnelles. Outre cette récompense d’une valeur de 500 euros, d’autres réalisateurs se sont vus offrir la possibilité d’un accompagnement professionnel de leurs projets, ainsi qu’une inscription à l’Agence du Court Métrage.
Contrairement à de nombreux festivals cinématographiques, le Poitiers Film Festival ne se complait pas dans l’entre soi, mais offre les clés de la réussite à de jeunes talents dont on risque fort d’entendre bientôt parler. Partage, découverte et transmission sont donc les mots clés de ce festival atypique et nécessaire, dont la notoriété ne cesse de s’amplifier.
Publik’Art adresse un grand merci à toute l’équipe du festival pour son professionnalisme, sa disponibilité et sa gentillesse. Avec un tel festival, la jeune création a décidément de beaux jours devant elle…
Habitant de Poitiers de longue date, je ne connaissais pas la richesse de « notre » festival. Merci pour cette très intéressante et vivante description.