Une saison en enfer, Rimbaud invoqué avec fièvre sur la scène du Lucernaire
Une saison en enfer a beaucoup fait parler. Prodigieuse autobiographie psychologique selon Paul Verlaine, le recueil de poèmes en prose s’apparente à un témoignage enfiévré d’un esprit trop grand pour sa simple enveloppe charnelle. Le seul en scène place le comédien au centre d’un jeu de lumières sans artifices ni musique. Seul compte le rythme de la langue et la beauté des mots. Le texte d’Arthur Rimbaud se suffit à lui-même pour faire plonger le public dans l’abîme de sa psyché tourmentée.
Un comédien habité
Un homme seul se présente sur la scène du Lucernaire. Les pieds plantés dans le sol, il ne va plus bouger 1h15 durant, déclamant les poèmes en prose d’Arthur Rimbaud. Autour de lui, les parois d’un volcan autrefois brulant mais maintenant éteint l’enveloppent avec ce qui ressemble à de l’eau au sol à la place de la lave incandescente. Pour privilégier l’envoutement des mots, le metteur en scène Ulysse di Gregorio prend garde à ne pas brouiller le message avec aucune d’interférence visuelle et sonore. Vêtu de multiples couches de chèches et de foulards, Jean-Quentin Châtelain évoque l’existence vagabonde d’un poète devenu contrebandier et marchand d’armes dans une vie postérieure sur le continent africain. Le spectacle semble fluctuer entre confession alcoolisée et fièvre dévorante dans une immobilité inéluctablement cadavérique. Mais toujours la langue de Rimbaud enivre et les passages les plus connus, ces Quoi?… L’éternité ou J‘ai assis la Beauté sur mes genoux font plonger les spectateurs tout au fond de son âme troublée.
Un auteur qui fascine encore et toujours
Elevé tout en haut du panthéon de la poésie tricolore, Arthur Rimbaud a laissé une oeuvre pourtant minuscule comparé à d’autres auteurs. Loin de la prolixité de ses contemporains Victor Hugo ou Alfred de Musset, il a rédigé une oeuvre qui frappe par sa sincérité et son ardeur. Tant de fantasmes planent autour du personnage et de sa vie qu’une pièce aussi simple qu’aride permet de remettre à plat l’évidence. L’homme était rongé par la petitesse de l’âme humaine par rapport aux figures mythiques et à un Dieu omniprésent. Si la déception suscitée par ses semblables le conduit à remettre en cause les valeurs de l’Occident, la possibilité d’un salut le rassérène autant qu’il l’attriste. Ses doutes sont ceux de chacun et ce moment de poésie théâtrale frappe par la puissance des mots déclamés par un Jean-Quentin Châtelain quasi mystique.
Nul besoin de connaitre par coeur le recueil de Rimbaud pour se laisser envouter par les mots du comédien. Le passage à la scène du texte magnétique bouscule pour une certitude, celle de ne plus jamais le considérer de la même manière!
Dates : du 8 mars au 6 mai 2017
Lieu : Le Lucernaire (Paris)
Metteur en scène : Ulysse di Gregorio
Avec : Jean-Quentin Chatelain